La triste histoire de la famille Sudérie

Les actes d’état civil fournissent des informations essentielles pour retracer l’histoire et la généalogie d’un individu. Ils constituent également les documents les plus simples à trouver et exploiter à distance pour le généalogiste débutant.

Toutefois, étudiés seuls, ils nous fournissent un portrait bien incomplet de la personne étudiée. Que celle-ci ait exercé plusieurs métiers, déménagé plusieurs fois au cours de sa vie ou se soit distinguée d’une façon ou d’une autre, et voilà autant d’informations qui nous échappent.

Les causes de décès chez les civils font partie de ces informations complexes et même souvent impossibles à retrouver. Parfois, un curé ou un officier d’état civil prennent le temps d’enregistrer cette information. Plus rarement, les circonstances exceptionnelles du décès (crime, accident, suicide…) font l’objet d’une citation plus ou moins longue dans la presse.

Lorsque l’on retrace l’histoire locale d’un village, on s’intéresse aux personnes et aux événements. Il est donc particulièrement intéressant de diversifier les sources étudiées pour tenter de reconstituer l’image la plus complète possible. Presse ancienne, recensements, archives judiciaires, délibérations du conseil municipal… sont autant de sources qui dévoilent des informations utiles et complémentaires.

J’essaie de n’en négliger aucune et c’est ainsi qu’au fil de mes recherches sur un sujet donné, je croise parfois faits insolites et destins remarquables là où je ne les attendais pas.

D’un acte de décès laconique…

L’acte de décès du jeune Albert Sudérie fait, au contraire, partie de ces centaines de documents qui sont sans doute passés une première fois devant mes yeux sans retenir mon attention.

acte de décès d'Albert Sudérie en 1892 à Montlaur (Aude)
acte de décès d’Albert Sudérie – source : archives départementales de l’Aude

Le décès d’un enfant de 10 ans, bien que toujours émouvant, n’est malheureusement pas un fait si rare que cela en cette fin de 19ème siècle. A cette époque, la mortalité infantile est encore très forte et je n’avais donc aucune raison de m’intéresser à ce décès en particulier. En effet, rien dans la formulation de cet acte ne laisse imaginer que le décès du jeune Albert n’est pas tout à fait ordinaire.

Une fois de plus, c’est dans la presse ancienne que je vais trouver une bonne raison de m’intéresser d’un peu plus près au destin de ce jeune garçon. Un entrefilet dans un journal régional dévoile en effet une information capitale, absente de l’acte de décès.

…aux détails d’un dramatique accident

C’est le journal La Fraternité qui lève le voile sur les circonstances du décès du jeune Albert Sudérie, dans son édition du 21juillet 1872.

Un dramatique accident

En troisième page, après avoir traité de l’actualité politique nationale et internationale, le bihebdomadaire égraine les faits divers relevés dans d’autres journaux et notamment Le courrier de Narbonne. Parmi les informations qui ont retenu l’attention du compilateur, on trouve quelques lignes consacrées au décès d’un jeune garçon montlaurais : Albert Sudérie.

La source primaire de l’information n’étant pas disponible en ligne, il faut nous contenter de sa retranscription dans La Fraternité.

article de presse relatant le décès par noyade d'Albert Sudérie à Montlaur
La Fraternité du 21 juillet 1872 – source : archives départementales de l’Aude

Le même jour, à Montlaur, le jeune Albert Sudérie, âgé de 10 ans, s’est noyé accidentellement dans le Ruissean (sic) de Rigals. Ce malheureux enfant avait, depuis quelques jours, l’habitude de se baigner en cet endroit où il y avait très peu d’eau. Mais quelques jours auparavant une crue occasionnée par un orage avait creusé un gouffre où le jeune Sudérie, qui n’en soupçonnait pas l’existence, est allé tomber.

En quelques lignes, le journal nous apprend donc la cause du décès de l’enfant, information inaccessible à celui qui se contente d’étudier les actes d’état-civil. Ces derniers ont une fonction purement administrative or l’histoire d’un individu ou d’un lieu est bien plus riche et complexe qu’une succession de lieu et de dates.

C’est en diversifiant et en croisant les sources que les recherches généalogiques et historiques deviennent réellement intéressantes. Il faut aussi parfois sortir des sources purement archivistiques pour explorer d’autres domaines scientifiques à même d’éclairer le contexte d’un événement ou d’une décision.

Un accident causé par la météo ?

Dans la seconde moitié du 19ème siècle, la météorologie connaît un essor considérable. Ainsi, depuis 1869, l’observatoire météo de Paris Montsouris enregistre et archive quotidiennement les observations météorologiques. En province, chaque Ecole Normale est dotée d’outils normalisés permettant d’effectuer des relevés similaires.

C’est ainsi que l’on sait aujourd’hui que le mois de juillet 1872 était particulièrement chaud et sans doute orageux. Des températures élevées qui ont certainement, comme le suppose l’auteur de l’article, donné envie à Albert Sudérie d’aller se rafraîchir à la rivière jusqu’à ce jour funeste du 11 juillet 1872.

Cette mort des suites d’une baignade n’est pas la première touchant un enfant montlaurais. En 1853 déjà, le jeune Antoine Raynaud, décédait lui aussi à 10 ans, après être allé nager.

Les deux cas sont toutefois bien différents. Si Antoine Raynaud contracte une maladie non identifiée au cours de sa baignade, Albert Sudérie, lui, succombe « simplement » à une noyade. Son décès vient frapper une famille déjà bien éprouvée par le malheur.

La triste histoire de la famille Sudérie

De jeunes mariés comblés

Le 7 août 1825, Marie Girbal accouche à Montlaur d’un petit garçon qui reçoit le nom de Joseph Casimir Sudérie. Le père de l’enfant, Gabriel Sudérie, est menuisier. Casimir emprunte une voie légèrement différente. S’il apprend à travailler le bois, comme son père, il s’établit finalement comme tonnelier.

Le 17 avril 1856, Joseph épouse Marguerite Barbaza, une jeune femme originaire de Capendu. Elle y est née le 2 juillet 1830. Ses parents, sont cultivateurs à la métairie Fonderoque, nichée au pied de l’Alaric. Aujourd’hui orthographié Font de Roque, le hameau est toujours habité par une poignée de familles.

Si Marguerite est originaire de Capendu et Joseph de Montlaur, leur mariage est célébré à Barbaira. C’est en effet là que la jeune femme réside avec sa mère Guillaumette depuis le décès de Jean, leur père et époux. Joseph a déjà 31 ans lorsqu’il se marie ; Marguerite n’en a que 26.

Quelques jours plus tôt, les deux jeunes gens ont passé contrat devant Me Carémier, notaire à Trèbes. La demoiselle apporte en effet une dot conséquente, constituée de divers biens immeubles hérités de son père ainsi que d’une somme de 5 500 francs, offerte par sa mère. En échange, le couple s’engage à héberger, nourrir et soigner Guillaumette jusqu’à la fin de ses jours.

extrait du contrat de mariage entre Cazimir Sudérie et Marguerite Barbaza
Extrait du contrat de mariage passé entre Joseph Sudérie et Marguerite Barbaza – source : archives départementales de l’Aude

Après le mariage, le jeune ménage s’établit à Montlaur, et héberge, comme convenu, la mère de Marguerite. Quelques mois plus tard, Marguerite tombe enceinte et accouche d’une petite Marie Sérina le 13 décembre 1857.

La fin des jours heureux

Dans un premier temps, tout semble sourire à la famille Sudérie : un beau mariage et un an plus tard, la naissance d’une petite fille. Que demander de mieux ? Malheureusement, la petite Marie Sérina décède à l’âge de 19 mois, le 14 juillet 1859.

Trois ans après ce deuil, le couple se prépare à accueillir un nouvel enfant, un garçon cette fois. Casimir Albert Sudérie naît le 8 octobre 1862. Son arrivée met sans doute un peu de baume au cœur de ses parents.

Acte de naissance d'Albert Sudérie le 8 octobre 1862 à Montlaur (Aude)
acte de naissance d’Albert Sudérie – source : archives départementales de l’Aude

Si l’on se plonge dans les recensements mis en ligne sur le site des archives départementales de l’Aude, on trouve toute la petite famille résidant au village en 1866.

Marie Sérina est déjà décédée depuis plusieurs années mais on retrouve bien Joseph, Marguerite, Albert et la grand mère maternelle de ce dernier.

Composition de la famille Sudérie en 1866 à Montlaur (Aude)
Recensement de 1866 – source : archives départementales de l’Aude

Contrairement aux actes d’état civil ou aux actes notariés qui se doivent d’utiliser les noms officiels des individus, les recensements retiennent les noms usuels. Quand un individu a plusieurs prénoms à l’état-civil, étudier les recensements (ou la presse dans le cas présent) permet donc d’identifier le prénom sous lequel il était connu de ses contemporains.

Notre jeune Casimir Albert était donc tout simplement Albert pour ses proches. De même, son père Joseph Casimir se faisait simplement appeler Joseph. Quant à sa grand-mère Guillaumette, elle préférait visiblement la variante Guilehlme.

Personnellement, j’adore retrouver ce type d’informations qui donnent de la consistance aux personnages du passé. Ils ne sont plus une succession de dates et de noms sur le papier mais des individus identifiés par un prénom ou un surnom utilisé au quotidien. Leur histoire tout comme celle du village reprend vie à nos yeux et nos oreilles.

C’est pour cela que je diversifie au maximum les sources que j’utilise pour raconter ces histoires de Montlaur. Plutôt que la grande et officielle histoire déjà maintes fois écrite, je cherche à retrouver les nuances de la vie quotidienne au sein de notre village.

Albert, donc, grandit entouré des siens. Malheureusement, le 1er mars 1868, le drame frappe à nouveau la famille. Joseph, son père, décède alors qu’il n’a pas encore 43 ans, laissant Marguerite veuve et le jeune Albert orphelin à l’âge de 8 ans.

Avec un jeune garçon à élever, Marguerite ne reste pas veuve bien longtemps. Elle se remarie le 8 juin 1870 avec Simon Maurel, après avoir passé contrat devant Me Gil, notaire à Lagrasse.

Marguerite est en effet à la tête d’une petite fortune personnelle et apporte donc une dot conséquente. Non seulement, elle possède des terres mais elle détient aussi diverses obligations pour un montant total de 3 800 francs. En l’épousant, Simon en aura l’administration. Toutefois, le contrat dispose que le consentement de Marguerite sera nécessaire pour toute transaction.

Marguerite conserve également la libre administration du reste de ses biens, présents et à venir, qu’elle exclut délibérément de sa dot. A la signature du contrat, ces biens consistent en une somme de 400 francs ainsi que 40 hL de vin, à même de lui apporter des revenus personnels.

extrait du contrat de mariage en Marguerite Barbaza et Simon Maurel
Extrait du contrat de mariage passé entre Simon Maurel et Marguerite Barbaza – source : archives départementales de l’Aude

Qu’elle se remarie de son plein gré ou plus ou moins contrainte, Marguerite entend conserver une certaine indépendance financière et se protège de la cupidité réelle ou supposée de son prétendant.

Deux ans plus tard, la famille recomposée est recensée à Montlaur. Guilhelme vit toujours avec sa fille, son nouveau gendre et son petit-fils.

On note une erreur sur le lieu de naissance de Marguerite. Si elle vivait à Barbaira avant son premier mariage, son acte de naissance nous indique qu’elle est née à Capendu.

La famille d'Albert Sudérie au recensement de 1872, à Montlaur
Recensement de 1872 – source : archives départementales de l’Aude

Le recensement a lieu en mai 1872. Quelques mois plus tard, le 11 juillet, 13 ans presque jour pour jour après sa sœur, c’est au tour d’Albert, le fils de Marguerite, de mourir dans les circonstances que vous connaissez désormais.

Marguerite et Simon décèdent sans descendance, lui le 19 juin 1902 et elle sans doute quelques mois plus tard1, au terme d’une vie rythmée par les deuils successifs.

SOURCES :
  1. je n’ai toujours pas trouvé son acte de décès malgré des recherches approfondies dans les registres d’état-civil de Montlaur. Je ne l’ai pas non plus trouvée dans les TSA de Lagrasse et Carcassonne. ↩︎

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