Vie et mort des Montlaurais en 1853

Les registres d’état-civil, dont l’exploitation est à la base de toute enquête généalogique, fournissent généralement des informations assez sommaires. Ils nous permettent de retrouver les noms de nos ancêtres ainsi que les dates des grands événements ayant rythmé leur vie : naissance, mariage et décès.

Ces informations sont essentielles puisqu’elles nous permettent de construire le squelette de l’arbre généalogique ou de la biographie que l’on tente de reconstituer mais elles sont aussi froidement administratives.

Certains registres, toutefois, nous réservent bien des surprises. Il suffit d’un curé ou d’un officier d’état civil un peu bavard pour obtenir des informations aussi précieuses qu’inattendues. Poèmes, croquis ou commentaires sur la météo, l’actualité ou les mœurs des habitants se glissent alors parfois au sein des actes.

La découverte de telles pépites est donc toujours jubilatoire parce qu’il s’agit d’informations que l’on n’aurait sans doute jamais pu retrouver ailleurs, comme la cause de décès d’un aïeul. Lorsque ces informations inattendues sont suffisamment nombreuses, c’est alors une image presque photographique du village à un instant t qui se dessine sous nos yeux.

À Montlaur, c’est le registre des actes de décès de 1853 disponible sur le site des archives départementales de l’Aude qui nous réserve une telle surprise. Cette année-là, le maire s’appelle Jean Taudou, un nom qui doit désormais vous être familier. Il occupera ces fonctions pendant plusieurs années.

Pour une raison inconnue mais qui fait le bonheur de l’apprentie historienne locale que je suis, Jean Taudou a consciencieusement indiqué la cause de chaque décès survenu au cours de l’année 1853.

extrait du registre des actes de décès - Montlaur (Aude) 1853
exemple d’acte de décès tiré du registre de l’année 1853 – source : archives départementales de l’Aude

A mon grand regret, par manque de temps ou parce qu’il n’en voyait pas l’intérêt, il n’a pas conservé cette habitude les années suivantes. En conséquence, même si ces informations sont très intéressantes, il n’est donc pas possible d’en tirer une étude longitudinale ni même d’établir des statistiques rigoureuses.

Cependant, ne dédaignons pas pour autant ces informations et voyons plutôt comment elles peuvent enrichir nos connaissances sur l’histoire locale de Montlaur et de ses habitants.

À quel âge mourrait-on en 1853 à Montlaur ?

L’étude des registres d’état civil mis en ligne sur le site des archives départementales de l’Aude nous apprend que 20 naissances et 20 décès sont survenus à Montlaur en 1853 pour une population totale d’environ 973 habitants (recensement de 1851).

Le registre des décès comporte également la retranscription de l’acte de décès d’un jardinier montlaurais décédé en Algérie où il s’était établi quelques années auparavant. Je lui consacrerai d’ailleurs sans doute prochainement un article. Toutefois, en raison des conditions de vie très spécifiques de cet individu et de l’absence d’indication quant à la cause de son décès, j’ai choisi de l’écarter de cette petite étude.

À Montlaur, en 1853, l’âge moyen au décès est de 46,3 ans. À titre de comparaison, selon l’Institut National d’Études Démographiques (INED), dans la France des années 1850, l’espérance de vie est de 43 ans.

Un taux de mortalité dépendant de l’âge

Si cet âge moyen au décès est si bas, à Montlaur comme dans le reste de la France, c’est parce qu’au 19ème siècle, la mortalité infantile est encore très forte et fait donc drastiquement chuter la moyenne. Pour autant et contrairement aux idées reçues, lorsque l’on atteint l’âge adulte, on meurt vieux et même parfois très vieux.

En effet, le risque de mourir varie fortement selon l’âge. Ainsi, selon l’INED toujours, en 1850, 1 nouveau-né sur 6 meurt avant l’âge de 1 an. À Montlaur, un seul décès correspondant à cette définition est enregistré pour un total de 20 naissances au cours de l’année 1853 mais notre cohorte est tellement faible que ce chiffre n’est pas vraiment significatif.

Pour contourner ce biais, certains chercheurs se sont intéressés à l’âge moyen au décès des adultes, c’est à dire des individus âgés de 20 ans et plus. Je retiendrai donc ce critère d’âge dans la suite de cet article.

En tenant compte de ce critère, l’économiste et chercheur en sciences sociales Thomas Piketty observe qu’en 1850, l’âge moyen au décès des adultes est inférieur à 60 ans. A Montlaur, en 1853, cette moyenne est de 62,7 ans. Il s’agit encore une fois d’une moyenne et l’on trouve donc des défunts beaucoup plus âgés.

De quoi mourrait-on en 1853 à Montlaur ?

Au-delà de ces chiffres, ce qui fait l’intérêt de l’année 1853, ce sont les causes des décès telles qu’elles ont été déterminées et retranscrites par le maire de l’époque avec toute l’imprécision qu’une telle démarche peut comporter.

Synthèse des décès survenus au cours de l’année 1853

On vient de le voir, l’âge est une variable importante. Le tableau ci-dessous, établi à partir des données fournies par le registre d’état civil, mentionne donc le sexe, et l’âge de chaque défunt ainsi que la cause officielle de son décès.

SEXE DU DÉFUNTÂGE AU DÉCÈSCAUSE DU DÉCÈS
M0mort en naissant
F4d’un jaunissement du sang
H8d’un rhume négligé
F8à la suite d’une longue maladie
H10en allant nager, il attrapa la maladie
H18d’avoir dormi sur un terrain humide
H20d’avoir dormi sur un terrain humide
H35poitrinaire
F42poitrinaire
F53poitrinaire
F63d’une attaque d’apoplexie
H67d’un épuisement
H68d’une attaque
F69d’un rhumatisme
H69d’une attaque d’apoplexie
H70d’une maladie rhumatismale
H79de vieillesse
H79d’une attaque
F81de vieillesse
F83de vieillesse
Synthèse des décès enregistrés à Montlaur en 1853 – source : archives départementales de l’Aude

Analyse par tranche d’âge

L’enfance (0-19 ans)

Sans surprise, l’enfance apparaît comme une période particulièrement critique. En 1853, 6 individus meurent avant d’avoir atteint l’âge de 20 ans. Un enfant meurt à la naissance malgré l’intervention d’une sage-femme. Pour les autres, les causes de décès sont très diverses : d’un jaunissement du sang, d’un rhume négligé, d’avoir dormi sur un terrain humide

Deux cas toutefois se distinguent : celui d’une enfant de 8 ans qui décède le 10 août d’une longue maladie et celui d’un enfant de 10 ans qui décès le 7 juin car en allant nager, il attrapa la maladie. Début juin, on imagine mal un refroidissement mais plutôt une contamination par une bactérie présente dans l’eau.

Le registre ne décrit pas la maladie ayant frappé ces deux enfants mais au regard de l’épidémie de choléra1 qui décime le village quelques mois plus tard, on peut se demander s’il ne s’agit pas là de premiers cas.

L’âge adulte (20-59 ans)

A l’âge adulte, les décès sont plus rares : 4 seulement sont recensés. Trois personnes décèdent poitrinaires, c’est à dire de la tuberculose ou de ses suites. C’est la principale cause de décès prématuré chez les adultes à Montlaur comme sans doute partout en France. La maladie, extrêmement contagieuse, est alors incurable et mortelle dans la plupart des cas.

Après 60 ans

Après 60 ans, le nombre de décès augmente à nouveau : 10 sujets âgés de 63 à 83 décèdent en 1853. La moitié d’entre eux a dépassé l’âge de 70 ans.

Les Montlaurais meurent majoritairement de vieillesse (un terme très vague pouvant masquer des affections plus spécifiques), d’attaques d’apoplexie (on emploierait aujourd’hui le terme d’AVC) et de rhumatismes.

Il peut sembler étonnant de mourir d’un rhumatisme, tel qu’on l’entend aujourd’hui dans le langage courant. Toutefois, si je me souviens correctement de mes cours de paléopathologie humaine, ce dernier terme pourrait en réalité évoquer les séquelles d’une tuberculose osseuse.

Il s’agirait alors d’individus ayant survécu suffisamment longtemps à la maladie pour que celle-ci se propage en dehors des poumons et leur laisse des séquelles ostéo-articulaires comme un mal de Pott, par exemple.

Bien que disponibles en nombre limité et sur une période très courte, ces informations précieuses éclairent les conditions de vie de l’époque. Elles nous montrent que, contrairement aux idées reçues, une fois les grands dangers de l’enfance passés et si l’on survivait aux épidémies, l’espérance de vie au milieu du 19ème siècle était très proche de la notre.

Si le sujet vous intéresse, l’autrice et blogueuse Lise Antunes Simoes a effectué un travail de recherche similaire mais sur une beaucoup plus grande cohorte. Elle parvient à des conclusions très similaires sur l’âge au décès de nos ancêtres et la persistance de clichés à ce sujet.

SOURCES :
  1. en 1854, la population de Montlaur est décimée par une épidémie de choléra (79 décès au total en un an). Cette épidémie meurtrière conduira d’ailleurs à déplacer le cimetière à l’extérieur du village pour des raisons de salubrité publique. ↩︎

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3 commentaires sur « Vie et mort des Montlaurais en 1853 »

  1. Encore un article très intéressant !
    Peut-être que le maire a arrêté de noter les causes du décès simplement parce que c’était interdit ? Je sais que ça l’est, mais depuis quand… ?

    Aimé par 1 personne

    1. Oui c’est possible. Je ne savais pas qu’il était interdit de mentionner cette information dans les actes de décès. En même temps, à y réfléchir, cela semble normal. Je crois que je ne m’étais tout simplement jamais posé la question. Quant à savoir ce que disait la loi en 1853… il faudrait chercher.

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