Plus de peur que de mal !

A la fin du 19ème siècle, comme aujourd’hui, les nouvelles dont la presse nationale et locale se fait écho sont rarement joyeuses. Scandales, crimes ou faits divers en tous genre semblent depuis tout temps fasciner le public.

J’ai ainsi enregistré sur mon ordinateur toute une collection de ces drames ordinaires qui ont frappé Montlaur année après année car la presse ancienne constitue une formidable source d’information pour étudier l’histoire locale d’un village.

En effet, commerçants, artisans, élus ou simples citoyens mais aussi informations sur la météo, les fêtes et travaux rythmant le quotidien des habitants défilent sous nos yeux. Je me régale de ces descriptions rédigées sur le vif !

Certains faits divers, comme la mort du jeune Casimir Sudérie, sont dramatiques. D’autres, à l’instar du récit de l’arrestation d’un braconnier impertinent, sont plutôt amusants. D’autres encore, trop cruels ou trop récents ne seront sans doute jamais publiés sur ce blog.

Si elle débute de façon dramatique, l’histoire que je vous propose de découvrir aujourd’hui se termine bien. C’est d’ailleurs pour cette raison que je l’ai choisie. Les bonnes nouvelles aussi (surtout ?) se doivent d’être partagées !

Un dramatique accident

article de journal rapportant l'accident dont a été victime Antoine Sournies, boulanger, en 1893 à Montlaur
« La Croix du Sud » du 5 octobre 1893 – source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

MONTLAUR – Grave accident. – Vendredi dernier, le sieur Lournies (sic) Antoine, boulanger, s’occupait à décharger une charretée de paille, surmontée de quelques demi-muids ; il allait détacher et faire descendre le dernier fût, quand, par suite d’un mouvement inattendu de la charrette, il perdit l’équilibre, glissa et tomba sur le sol, en même temps que le fût qui l’avait entraîné.
L’infortuné père de famille était sans connaissance ; c’est dans cet état qu’il fût porté dans sa maison.
Le docteur Laffague (sic), appelé en toute hâte, a constaté plusieurs lésions, dont une grave à la cuisse.
Depuis, l’état du malade s’est amélioré très sensiblement ; suivant l’opinion du docteur, il pourra être sauvé.
C’est aussi notre vœu et notre espoir.

Google nous informe que le 5 octobre 1893 était un jeudi ; l’accident relaté s’est donc produit le vendredi 29 septembre. Au cours de la semaine qui vient de s’écouler, le médecin a eu l’occasion d’examiner son patient plusieurs fois et se montre plutôt optimiste quant à ses chances de rétablissement.

Il s’agit très certainement de Jules Laffage (ou de son fils Eugène), médecin cantonal domicilié rue du Consulat, à Lagrasse comme nous l’apprend le recensement de 1891.

Il y aurait énormément de choses à raconter sur la carrière de ces deux médecins mais si c’est l’histoire locale de Montlaur qui nous intéresse, on se demande surtout qui était Antoine Sournies et surtout s’il a effectivement survécu à ses blessures. Comme toujours, c’est dans les archives locales que se cache la réponse.

Antoine Sournies, chef d’une famille nombreuse

L’article nous donne de précieux éléments pour identifier la victime. On sait, en effet, qu’Antoine Sournies est boulanger et père de famille. Le plus simple moyen de l’identifier est donc de consulter le recensement effectué deux ans plus tôt, en 1891.

Ce document n’étant pas disponible sur le site internet des archives départementales de l’Aude, il faut aller le consulter en salle de lecture ou sur Geneanet (abonnement premium requis).

Au recensement de 1891, on trouve très rapidement notre Antoine Sournies, boulanger à la tête d’une famille plutôt nombreuse.

composition de la famille d'Antoine Sournies, boulanger à Montlaur, selon le recensement de 1891
Recensement de 1891 à Montlaur – source : Geneanet

Antoine Sournies vit avec sa femme : Marie Bac (née en 1859 aux Allemans, en Ariège) et ses 3 enfants : Marguerite, Louis et Emile respectivement âgés de 18, 13 et 11 ans.

Antoine et Marie se sont mariés le 26 juin 1877 aux Allemans. Leur acte de mariage disponible sur le site des archives départementales de l’Ariège nous apprend qu’il est veuf de Justine Cabirol, décédée le 27 mai 1874.

Le couple vit également avec le père, Jean (63 ans) et le frère de Marie : Mathieu (29 ans).

NB : Jean est bien le père de Marie Bac et non son frère. Il s’agit-là d’une erreur dans le recensement. De même les âges indiqués sont assez approximatifs puisqu’Antoine Eliacin Roch Sournies est né le 10 août 1847. Ainsi, il a 43 ans et non 40 au moment du recensement.

Antoine Sournies est donc âgé de 46 ans au moment de l’accident mais survit-il comme le laisse espérer le médecin ?

La réponse se trouve dans le recensement de 1901, disponible cette fois sur le site des archives départementales de l’Aude.

Composition de la famille d'Antoine Sournies en 1901 à Montlaur (recensement)
Recensement de 1901 – source : archives départementales de l’Aude

Conformément au diagnostic du médecin, Antoine Sournies survit à ses blessures mais il met vraisemblablement plusieurs années à se rétablir totalement. En effet, en 1901, à l’aube de ses 54 ans, il n’est plus boulanger. Son fils Louis désormais âgé de 22 ans et son beau-frère Mathieu ont pris le relais.

Alors que l’accident d’Antoine aurait pu mettre la famille en danger financièrement, ce n’est pas le cas. On constate en effet que 7 ans et demi plus tard, non seulement la famille Sournies n’a pas sombré dans l’indigence mais en plus, elle est en mesure d’employer 2 domestiques. Il y a donc du travail en quantité et des revenus suffisants pour payer le salaire des domestiques.

Certes, les Sournies possédaient visiblement d’autres sources de revenus à côté de la boulangerie (vignes, moutons…) mais c’est sans aucun doute la solidarité au sein de cette famille nombreuse et étendue qui a permis de faire face aux difficultés, les valides prenant le relais du blessé pour continuer d’assurer les revenus du foyer.

Quelques années plus tard, on constate dans le recensement de 1906, qu’Antoine Sournies a repris son activité de boulanger aux côtés de son fils et de son beau-frère.

famille Antoine Sournies, boulanger, au recensement de 1906 à Montlaur (Aude)
Recensement de 1906 – source : archives départementales de l’Aude

On perd ensuite sa trace sur internet puisqu’aucun document d’archive postérieur à 1906 n’a été mis en ligne. Pour connaître la date de décès d’Antoine Sournies, il faut donc consulter les tables décennales en salle de lecture des archives… ou bien aller chercher l’information dans les allées du cimetière.

En effet, les cimetières constituent une base de données extraordinaire lors que la recherche dans les documents d’archive est bloquée. On y trouve une date, un conjoint… et parfois même la photo d’un disparu.

Dans une allée proche de l’entrée, on tombe rapidement sur la tombe d’Antoine Sournies. On peut y lire que notre boulanger est finalement décédé le 5 mai 1925, à l’aube de ses 78 ans. Sa femme le rejoint dans l’éternité exactement 4 ans plus tard.

tombe Antoine Sournies, boulanger au cimetière de Montlaur dans l'Aude
La tombe d’Antoine Sournies – source : collection particulière

Alors que l’accident dont il a été victime le 29 septembre 1893 laissait craindre le pire, Antoine Sournies a finalement survécu. Après une longue convalescence il a même pu reprendre son activité de boulanger et surtout vivre et vieillir auprès de sa famille.

Il reste toutefois un mystère à résoudre : où se situait la boulangerie Sournies ?

SOURCES :

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