Marie Sabatier, sage-femme engagée

Etudier l’histoire locale d’un village c’est étudier la vie de ses habitants. A chaque génération, certains d’entre eux se distinguent au cours d’un événement en particulier ou plus généralement par leur parcours de vie qui sort de l’ordinaire. C’est notamment le cas de Marie Sabatier-Montagné qui, vous allez le voir, s’est tracé un destin hors du commun.

Une fois de plus c’est dans la presse ancienne que j’ai puisé mon inspiration. Le 9 juillet 1836, Le courrier du Midi consacre un long article à la remise de prix qui s’est tenue quelques jours plus tôt au sein de la Maternité de Montpellier.

La lecture de cet article s’est révélée passionnante, non seulement parce qu’il mentionne une lauréate montlauraise : Marie Sabatier-Montagné mais aussi et surtout pour les informations qu’il fournit au sujet de la formation des sages-femmes au début du 19ème siècle.

Devenir sage-femme au 19ème siècle

En ce samedi 25 juin, quinze élèves sages-femmes sont convoquées devant Joseph Floret, préfet de l’Hérault. Comment en sont-elles arrivées là ? Quel parcours ont-elle suivi ? Dans quel but les a-t-on formées ?

Qui pouvait devenir sage-femme ?

Au début du 19ème siècle, le métier de sage-femme s’institutionnalise et des écoles départementales voient progressivement le jour à Paris, Bordeaux, Toulouse, Lyon, Marseille … et Montpellier, donc.

L’article nous apprend que pour être admise élève sage-femme à la Maternité de Montpellier, il fallait, a minima, réunir les 3 conditions suivantes :

  • avoir atteint sa dix-huitième année1,
  • être muni d’un certificat de bonne vie et mœurs2,
  • savoir lire et écrire couramment3.

Les élèves admises à suivre les cours pratiques d’accouchement étaient alors internes au sein de l’Hospice pendant toute la durée de l’année scolaire. Les frais de pension, d’un montant de 400 F pouvaient être pris en charge par leur Département d’origine sous certaines conditions.

Pourquoi former des sages-femmes ?

L’objectif de l’Etat en favorisant la création de maternités et la formation de sages-femmes est bien spécifique ainsi que le rapporte l’auteur de l’article.

extrait d'un article de 1838 expliquant le rôle des sages-femmes à cette époque

Le courrier du Midi du 9 juillet 1838 – source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Depuis que de philanthropiques asiles, a dit le professeur, ont été ouverts à l’indigence, au malheur, aux filles séduites ; depuis que l’humanité publique protège leurs enfants, même avant leur naissance ; depuis qu’en leur nom, dans les principales villes de France, les portes des ces asiles leurs sont toujours ouvertes, on ne voit que très rarement se renouveler ces tentatives d’avortement, d’infanticide, de suppression de part, autrefois si communes et dont les tribunaux retentissaient si souvent. Si, sous un autre rapport, les mœurs ont eu à en souffrir quelquefois, il faut se rappeler qu’il y a un intervalle immense entre la licence et le crime.

Il ne s’agit pas tant d’améliorer les conditions de prise en charge des parturientes et donc leur espérance de vie que de faire diminuer avortements et infanticides. Former des sages-femmes est donc, à cette époque, plus affaire de morale que de santé publique.

Après un an de formation, les candidates passent 5 épreuves différentes devant un jury d’examen. En 1836, Seules 6 d’entres elles se voient décerner le certificat d’aptitude attestant de leurs compétences et leur permettant d’exercer partout en France. Deux élèves sont autorisées à redoubler, le rythme des cours étant très intense et parfois insuffisant pour maîtriser savoirs et savoir-faire attendus.

Après avoir fait l’éloge général de ces femmes qui « se destinent à la plus utile comme à la plus bienfaisante des professions », le préfet Floret distingue celle qui ont été identifiées par le jury comme les plus méritantes.

extrait d'un article consacré à Marie Sabatier et mentionnant sa réussite au concours de sage-femme.
Le courrier du Midi du 9 juillet 1838 – source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Pour le second prix, sont nommées deux Audoises dont les frais de pension ont été pris en charge par le Département : Elisabeth Foran-Blanc âgée de 28 ans et originaire de Portel et Marie Sabatier-Montagné, Montlauraise âgée de 30 ans.

Ces dernières reçoivent pour prix une boîte contenant tout les instruments nécessaires à l’exercice de leur nouvelle profession ainsi qu’un ouvrage de référence.

Marie Sabatier-Montagné, sage-femme montlauraise

Marie Sabatier (ou Sabatié) est née le 14 mars 1806 à Montlaur. Elle est la fille de Marguerite Labadié et Etienne Sabatier. C’est sa grand-mère paternelle, Elizabeth Villa, qui vient déclarer sa naissance. Elle a une petite sœur, Maguerite, née le 18 mars 1818 et qui deviendra à son tour sage-femme.

Avant de devenir sage-femme

Le 23 décembre 1831, elle accouche d’un petit garçon qui reçoit le prénom d’Etienne. Le père de l’enfant est Guillaume Montagné, un cultivateur montlaurais avec lequel elle était visiblement mariée à la mairie du 13ème… Fait remarquable, Marie Sabatier signe l’acte de naissance aux côtés de son compagnon, du maire et des témoins.

acte de naissance d'Etienne Montagné, fils de la sage-femme Marie Sabatier
acte de naissance d’Etienne Montagné – source : archives départementales de l’Aude

Le couple se marie finalement le 30 janvier 1834 à… 9h du soir ! Comme l’on enchaînait mariage civil et mariage religieux, cet horaire avait sans doute été imposé par le curé au vu de la situation du couple qui vivait déjà en concubinage.

Comme le montre l’extrait ci-dessous, ce mariage est l’occasion de légitimer leur fils Etienne et pour nous de découvrir le premier métier de Marie : maître couturière. Le couple n’aura pas d’autre enfant.

extrait de l'acte de mariage de Marie Sabatier et Guillaume Montagné
acte de mariage de Marie Sabatier et Guillaume Montagné – source : archives départementales de l’Aude

C’est sans doute la régularisation de ce mariage qui permet à Marie d’obtenir le certificat de bonne vie et mœurs exigé pour entrer comme élève sage-femme à la Maternité de Montpellier.

Un changement de vie pour toute la famille

Marie entre à l’école pratique d’accouchement à l’automne 1835. Ainsi au recensement de 1836, elle apparaît en tant qu’ « élève de la maternité » à Montpellier, tandis que son mari est commissionnaire. Etienne a 4 ans et demi. Vivait-il alors avec son père ou sa mère ?

Marie Sabatier Montagné et sa famille au recensement de 1836
recensement de 1836 à Montlaur – source : archives départementales de l’Aude

Au recensement de 1851, la famille habite Chemin de Pradelles. Guillaume a repris son activité de cultivateur.

Quant à Etienne, désormais âgé de 20 ans, il est étudiant à l’Ecole Normale mais n’exercera vraisemblablement jamais la profession d’instituteur. Mobilisé lors de la Guerre de Crimée, à son retour il devient chef de station au chemin de fer dans l’Hérault. Plus tard, il sera commis négociant à Narbonne avant de revenir à Montlaur où il est propriétaire.

La famille de la sage-femme Marie Sabatier au recensement de 1851
recensement de 1851 à Montlaur – source : archives départementales de l’Aude

En 1861, impossible de retrouver Marie et Guillaume Montagné dans les recensements montlaurais, et pour cause… Le couple habite désormais à Narbonne ! Une piste que je n’aurais jamais pensé à explorer sans l’indexation des recensements et de la presse ancienne sur Geneanet.

Ils habitent d’abord quelques années rue de l’arcade dans le quartier Saint Sébastien. En 1872, ils résident rue des pèlerins avec leurs deux petits-fils : Etienne, Elisée dit Elie et Jean Jules dit Edouard. Enfin, en 1876, ils habitent rue de l’ancien courrier, à deux pas de leur précédente adresse.

Tout au long de ces années, Marie exerce sa profession de sage-femme tandis que Guillaume est désormais employé de la régie, c’est à dire employé des contributions indirectes.

Une carrière trépidante

Marie Sabatié-Montagné travaille sans relâche, parfois relativement loin de chez elle et auprès de femmes très diverses. Ainsi, Le Courrier de l’Aude nous apprend qu’en juillet 1858, alors âgée de 52 ans, elle est condamnée par le tribunal correctionnel pour avoir aidé une femme à abandonner son enfant.

article tiré du Courrier de l'Aude du 14 juillet 1858
Le Courrier de l’Aude du 14 juillet 1858 – source : Région Occitanie

-Le tribunal de police correctionnelle a, dans son audience du 9 de ce mois, condamné à 5 jours de prison et 50 fr. d’amende la nommée Marie Sabatié, femme Montagné, sage-femme, à Narbonne, et son complice Louis Peyré, limonadier, faubourg Barbecanne 59, à Carcassonne, à 30fr. d’amende, pour abandon et délaissement d’enfant nouveau né sur le seuil de la porte de l’Hôpital-Général.

L’hôpital général mentionné dans l’article ci-dessus se trouvait à deux pas de la rue de la Barbacane, au pied du Pont vieux. Il n’en reste aujourd’hui que la façade. Un hôtel de luxe s’élève à la place.

La carrière et l’engagement de Marie Sabatier-Montagné ne se limitent pas à son activité de sage-femme. En effet, un Rapport sur les vaccinations pratiquées en France en 1875 nous apprend qu’elle a été particulièrement active dans la campagne de vaccination contre la variole.

Fin de vie en famille, à Montlaur

Guillaume Montagné décède à Narbonne le 15 juin 1882. Marie, désormais veuve, retourne vivre à Montlaur. Elles s’installe chez son fils Etienne, comme on peut le constater dans le recensement effectué en juin 1886. Etienne, propriétaire, vit avec sa femme Félicie-Marguerite Fabre et leur fils Elie dans le « quartier Montagné ».

En cette fin de XIXème siècle, comme les rues de Montlaur n’ont pas de nom, il est très fréquent que l’agent recenseur désigne les quartiers du nom d’un de leurs habitants… Pas très pratique pour reconstituer la géographie du village.

Marie Sabatier-Montagné s’éteint quelques semaines plus tard, le 7 août 1886. Elle est âgée de 80 ans, et signe s’il en est, qu’elle a marquée la population montlauraise, sa profession de sage-femme est mentionnée une dernière fois dans son acte de décès.

acte de décès de Marie Sabatier-Montagné, sage-femme à Montlaur
acte de décès de Marie Sabatier – source : archives départementales de l’Aude
SOURCES :
  1. et l’autorisation de ses parents ou de son mari, cela va sans dire ↩︎
  2. aujourd’hui remplacé par l’extrait de casier judiciaire demandé pour accéder à certains emplois ↩︎
  3. lire et écrire… le français, bien évidemment et non l’occitan. Cette condition réduisait drastiquement le nombre de candidates, en particulier de candidates vivant loin des grandes villes. ↩︎

En savoir plus sur Histoire(s) de Montlaur

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

5 commentaires sur « Marie Sabatier, sage-femme engagée »

  1. Merci pour votre commentaire sur mon blog. Cela me donne l’occasion de découvrir le vôtre.

    J’ai été intéressée par cet article qui permet de découvrir le beau parcours de vie de cette sage-femme qui a dû bien aider nombre de femmes.

    Aimé par 1 personne

    1. Merci. J’ai été particulièrement touchée par le parcours de cette dame car nous avons aussi une ancêtre sage-femme dans la famille. Effectivement, elles avaient un rôle essentiel, en particulier dans un village où il n’y avait aucun autre représentant du corps médical.

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire