Rue du Presbytère – Elise et Ferdinand

Il y a quelques années, j’ai acheté une maison à Montlaur. Alors qu’elle avait déjà changé une première fois de propriétaire, elle était toujours connue sous le nom de « chez Olive ». Quand j’étais enfant, cette maison était louée en location saisonnière et plus tard, en location à l’année.

Il s’agit d’une maison de village, située dans une des plus anciennes rue de la commune. J’ai rapidement eu envie de m’intéresser à l’histoire de cette maison. Mon objectif premier était d’essayer de retrouver sa date de construction. Je sais aujourd’hui que la maison existait déjà lors du tracé du premier plan cadastral, en 1831.

Rapidement d’autres interrogations ont pointé le bout de leur nez et une simple date ne suffisait plus à satisfaire ma curiosité. Je voulais tout savoir sur cette maison !

Quels ont été ses propriétaires successifs ? La façade, avec son large portail aujourd’hui transformé en fenêtre laisse imaginer un atelier ou une boutique. Mes prédécesseurs entre ces murs étaient-ils artisans ? Commerçants ? Et au fait, comment la maison s’est-elle transmise de génération en génération ?

Je ne savais absolument pas par où commencer et surtout je n’imaginais pas le temps que ces recherches en généalogie foncière allaient me prendre.

Comme en généalogie familiale, retrouver une succession de dates et de noms est assez rapide mais dès lors que l’on cherche à entrer dans les détails, c’est une autre histoire !

Le début des recherches

J’ai débuté mes recherches au printemps 2020, en plein confinement. Les ressources à ma disposition étaient donc extrêmement limitées puisqu’il ne m’était pas possible de me rendre aux archives départementales.

En premier, j’ai bien sûr étudié l’acte d’achat de ma maison puisque celui-ci liste -jusqu’à un certain point- les propriétaires antérieurs et la façon dont ils ont acquis le bien. Cela ne m’a pas permis de remonter très loin mais au moins j’avais désormais suffisamment d’information pour rechercher l’acte de mutation précédent.

J’ai continué de fouiller dans les documents déjà en ma possession, et notamment une collection de cartes postales anciennes de Montlaur. Au fil des années, de nombreuses cartes postales représentant diverses vues du village ont été éditées. Chaque épicier, notamment, faisait éditer des cartes mettant en valeur sa boutique. Par chance, jusqu’à une période relativement récente, une épicerie « Chez Gout » était voisine de ma maison.

J’ai donc trouvé cette carte postale, intitulée Rue du commerce. Si la rue en question ne s’est, à ma connaissance, jamais appelée la rue du commerce, ce choix de titre est révélateur de l’animation qui devait régner dans cette rue à l’époque.

carte postale ancienne représentant la rue du presbytère à Montlaur
Carte postale intitulée « la rue du commerce » – source : collection particulière

La maison est facilement reconnaissable. Sa façade n’a pas beaucoup changé. Si la large porte à volets de bois confirme la présence d’un commerce, celui-ci semble déjà fermé depuis plusieurs années. La maison elle-même ne semble pas habitée. Malheureusement, la prise de vue n’est pas datée.

La vie a repris son cours frénétique et mes recherches sont restées en suspens. Je les ai récemment reprises de façon plus méthodique, en m’appuyant sur la méthodologie proposée par Marie-Odile Mergnac dans son ouvrage intitulé Retrouver l’histoire d’une maison.

Je vous propose donc de me suivre dans une série d’article sur les traces des anciens occupants de ma maison, génération après génération. Nous découvrirons ensemble la vie des propriétaires successifs de cette maison et les différentes pistes de recherches que j’ai choisi d’explorer pour retracer leur histoire.

Episode 1 – Elise Maurel et Ferdinand Sournies

Elise Maurel, propriétaire discrète

Elise Maurel naît le 7 juillet 1875, dans la maison de ses parents, à Montlaur. Son père, Jean Maurel, est boucher au village. Sa mère, Marguerite Romieu est la sœur d’Antoine Romieu, auquel j’ai déjà consacré un article.

Peu de temps après sa naissance, toute la petite famille part quelques temps à Camplong (recensement de 1876) avant de revenir à Montlaur, dans la maison achetée par Jean quelques temps avant son mariage.

Des quatre enfants de la famille Maurel, Elise est la seule à survivre au-delà de l’enfance. On la trouve auprès de ses parents dans les recensements successifs.

Au décès de son père Jean en 1922, Elise est donc seule héritière de ses biens et notamment de la maison qui nous intéresse, comme nous l’indique la déclaration de succession, déposée le 8 septembre 1922.

extrait de la déclaration de succession de Jean Maurel, faisant d'Elise sa seule héritière
extrait de la déclaration de succession de Jean Maurel – source : archives départementales de l’Aude

Comme je le lisais il y a quelques jours sur un blog1, à de rares exceptions, les femmes de cette époque, ont laissé peu de traces dans les archives. A moins d’avoir eu une carrière médicale, artistique ou scientifique, dans les recensements, elle sont d’abord « fille du chef » puis « femme du chef » et presque toujours « sans profession ».

Le prénom d’Elise n’apparaît même pas dans la déclaration de succession de son père. Le notaire laisse un espace vide. Il a visiblement oublié cette information.

Même sa date de décès est insaisissable ! En effet, sur sa tombe, deux dates différentes sont mentionnées (03/07/1949 sur la tombe et 03/08/1949 sur la plaque) et c’est encore une troisième date qui figure en mention marginale de son acte de naissance (09/09/1949) ! La réponse officielle se cache donc dans son acte de décès, demandé il y a quelques jours à la mairie de Montlaur.

Portrait d'Elise Maurel, épouse Sournies
portrait d’Elise Maurel

Mes recherches a son sujet m’ont tout de même fournir une petite pépite : une photo d’Elise, reproduite sur sa tombe.

A défaut de trouver plus d’informations à son sujet, j’étais très touchée de mettre un visage sur son nom. Elise est visiblement déjà assez âgée au moment où la photo est prise mais a encore beaucoup de prestance je trouve.

Son mari Ferdinand est bien plus facile à suivre. Les hommes laissent plus de traces dans les archives en général mais surtout, de par sa profession et son caractère, Ferdinand a laissé son nom dans divers documents que j’ai pu consulter.

Une fiche matricule très instructive

Auguste Ferdinand Sournies, naît le 2 septembre 1869 à Lagrasse. Ses parents sont Jean Sournies et Rose Marie Poudou. C’est sous le seul prénom de Ferdinand qu’on le retrouve ensuite.

Pour faire la connaissance de Ferdinand, le plus simple est de consulter sa fiche matricule, directement sur le site des archives départementales de l’Aude

Dans le cadre de la conscription militaire, jusqu’en 1998, tous les hommes étaient recensés, généralement l’année de leurs 20 ans. Selon la période concernée, une case dans un tableau ou une fiche signalétique complète leur est consacrée.

Les fiches matricules sont conservées aux archives départementales, en série R. Elles sont librement consultables à l’issue d’un délai de 120 ans après la naissance de l’individu étudié.

extrait de la fiche matricule de Ferdinand Sournies, nous donnant son signalement
extrait de la fiche matricule de Ferdinand Sournies – source : archives départementales de l’Aude

La première partie du document contient l’état-civil et le signalement du conscrit ou de l’engagé volontaire. Dans le cas de Ferdinand, nous découvrons ainsi qu’il avait les cheveux châtains et les yeux bleus. Avec ses 1m69, il est aussi légèrement plus grand que la moyenne pour l’époque2. Signe distinctif : il a une cicatrice à la tempe gauche, un détail qui prendra toute son importance un peu plus loin.

Fils de propriétaires terriens, et lui-même déjà propriétaire alors qu’il n’a que 20 ans, il semble toutefois avoir rapidement arrêté ses études. Le chiffre 2 en face de la mention degré d’instruction générale signifie en effet que Ferdinand sait lire et écrire mais n’a pas passé ou obtenu le brevet de l’enseignement primaire.3

Dans la suite de sa fiche matricule, on découvre que Ferdinand s’engage volontairement pour trois ans au sein du 26ème régiment de Dragons.

Ferdinand Sournies, engagé volontaire pour 3 ans dans un régiment de dragons
extrait de la fiche matricule de Ferdinand Sournies – source : archives départementales de l’Aude

Il passe ensuite dans la réserve active au sein du 17ème régiment de Dragons, stationné à Carcassonne. Nul doute que dans son bel uniforme de cavalier, il devait avoir du succès auprès des jeunes filles !

Un mariage en plein été

D’ailleurs, je me suis longtemps demandé comment Elise et Ferdinand s’ étaient rencontrés. En effet, il est originaire de Lagrasse et le 17ème régiment de Dragons est stationné à Carcassonne. En résumé, rien ne semble le relier à Montlaur avant son mariage.

Toutefois, un article de presse découvert récemment m’a appris que, dans le cadre de leurs entraînement, les Dragons étaient parfois cantonnés à Montlaur. Les deux jeunes gens ont donc sans doute eu l’occasion de se croiser régulièrement au village.

Ils se marient quelques mois après la fin de la période d’engagement volontaire de Ferdinand, le mercredi 1er août 1894. Leur mariage est célébré à Montlaur, en présence de leurs parents et amis. Elise a 19 ans ; Ferdinand en a 24. Tous deux signent l’acte de mariage, ainsi que leurs parents.

signature d'Elise Maurel et Ferdinand Sournies de Montlaur
extrait de l’acte de mariage d’Elise Maurel et Ferdinand Sournies – source : archives departementales de l’Aude

Une fois mariés, les deux jeunes gens s’installent chez les parents d’Elise. Libéré de son engagement militaire, Ferdinand apprend le métier de boucher aux-côtés de son beau-père.

Rapidement, deux petites filles viennent agrandir la famille : Jeanne et Rose. Comme en témoigne le recensement de 1901, on doit commencer à se sentir sérieusement à l’étroit dans la maison de la rue du presbytère !

Les habitants du 22 rue du presbytère en 1901 à Montlaur (Aude)
Recensement de 1901 – source : archives départementales de l’Aude

C’est sans doute pour cette raison, qu’entre 1901 et 1906, Jean et Marguerite partent monter une nouvelle boucherie à Serviès, confiant celle de Montlaur à leur gendre. Au décès de son beau-père, courant 1922, Ferdinand reprend l’affaire en son nom.

Ferdinand reprend officiellement la boucherie Maurel

En ce début de 20ème siècle, comme au siècle précédent, chaque boucher abattait ses propres bêtes et possédait son propre abattoir ou plutôt sa tuerie particulière au village.

En raison du risque sanitaire qu’ils représentent, les abattoirs font alors partie des installations classées, soumises à autorisation préfectorale. On retrouve donc leur trace en sous-série 5M aux archives départementales.

Dans le dossier consacré aux boucheries montlauraises, je trouve un courrier daté du 21 novembre 1922, par lequel Ferdinand demande au préfet l’autorisation de reprendre l’activité créée par son beau-père.

courrier adressé par Ferdinand Sournies pour exploiter l'abattoir de Montlaur
courrier adressé par Ferdinand Sournies au Préfet de l’Aude – source : archives départementales de l’Aude

Pour quelqu’un qui ne sait « que » lire et écrire d’après sa fiche matricule, on constate que Ferdinand s’exprime avec beaucoup d’aisance à l’écrit. De ces quelques lignes transpire également un caractère visiblement bien affirmé : je demande à y être autorisé. Ferdinand ne souhaite pas, il demande !

Un boucher au caractère bien trempé !

Il est généralement très compliqué et même hasardeux de prêter opinions et sentiments aux personnes que nous étudions dans le cadre de la généalogie ou de l‘histoire locale. En effet, une succession de dates et d’événements ne suffisent pas à définir une personne.

Dans le cas de Ferdinand, les indices sont toutefois assez nombreux pour se faire une petite idée de son caractère. C’est le portrait d’un homme droit dans ses bottes mais plutôt impulsif et même à l’occasion un peu bagarreur qui se dessine.

Dans tous les cas, il semblerait que la discipline ne soit pas vraiment son fort, un comble pour un engagé volontaire ! Sa fiche matricule n’en précise pas le motif mais il est rapidement cassé de son grade et le certificat de bonne conduite lui est refusé.

extrait de la fiche matricule de Ferdinand Sournies
extrait de la fiche matricule de Ferdinand Sournies – source : archives départementales de l’Aude

La cicatrice à la tempe, mentionnée en haut de sa fiche matricule, serait-elle le relief d’une bagarre passée ?

Bien après la fin de son service militaire, Ferdinand conserve son fort caractère. En 1904, il est convoqué devant le tribunal correctionnel de Carcassonne pour coups et blessures. Il aurait frappé un autre Montlaurais.

C’est dans la presse, que je découvre l’affaire. Le Midi, dans son édition du 6 janvier 1904 résume les affaires traitées au cours de l’audience de la veille.

article de presse relatant la condamnation de Ferdinand Sournies pour coups et blessures
Le Midi du 6 janvier 1904 – source : bibliothèque numérique patrimoniale Montpellier 3M

Coups et violences. – Le sieur Fournier, 34 ans, boucher à Montlaur, a donné des coups à un nommé Tandou, de cette localité. Me Viven, défenseur. Fournier est condamné à la peine de 16 francs d’amende et aux dépens.

Les noms propres sont quelques peu écorchés et le journaliste n’entre pas vraiment dans les détails. Prise de curiosité, je décide de consulter les archives du tribunal correctionnel, conservées en sous-série 3U aux archives départementales de l’Aude.

Je retrouve sans peine le compte-rendu de l’audience qui me permet de confirmer l’identité des protagonistes et d’en apprendre un peu plus sur les circonstances de l’altercation.

extrait du compte-rendu d'audience de Ferdinand Sournies
Compte-rendu d’audience – source : archives départementales de l’Aude

Droit dans ses bottes, Ferdinand assume ses actes. Il estime toutefois avoir été provoqué par Philippe Taudou. Ferdinand ne peut accepter la provocation et le fait bien comprendre à son rival. Si le tribunal reconnait sa culpabilité, il constate également que les blessures de Philippe Taudou sont minimes. Ferdinand est donc condamné à une simple amende.

A mon grand regret, le compte-rendu ne nous dit pas grand chose du motif de l’altercation. Quels ont été les mots échangés entre Jean, Philippe et Ferdinand pour que ce dernier se sente obligé de régir avec ses poings ?

L’altercation s’est produite le 11 décembre 1903, soit le lendemain de la Sainte Eulalie. L’histoire ne dit pas si c’est au cours de la fête que les premiers échanges d’amabilités ont eu lieu mais c’est une possibilité.

De même, si Philippe est courtier en vins, la famille Taudou est avant tout une grande famille de bouchers montlaurais. Les Taudou sont donc les concurrents directs des Maurel/Sournies et ce, depuis plusieurs années. Il semblerait d’ailleurs que les relations étaient assez tendues entre bouchers montlaurais.

De la boucherie Sournies à la maison de Chez Olive

Le 17 avril 1915, alors que la Première Guerre Mondiale fait rage depuis plusieurs mois déjà, malgré son âge et ses deux enfants, Ferdinand est mobilisé. Il est toutefois « détaché agriculteur » le 13 février 1917. Il aura passé 2 ans loin des siens mais rentre, semble-t-il, en bonne santé. En tous cas, sa fiche matricule ne mentionne aucune blessure reçue au combat.

Malheureusement, comme nous l’apprend sa tombe retrouvée dans le cimetière communal, Ferdinand décède prématurément, le 19 août 1925. Marguerite et Elise ne peuvent exploiter la boucherie seules. Le 7 août 1927, les deux femmes font donc une donation à leur fille cadette Jeanne devant Me Parry, notaire à Lagrasse.

En effet, Jeanne a épousé quelques années plus tôt Prosper Antoine Olive, qui a, à son tour, appris la boucherie auprès de son beau-père. Le jeune couple qui vivait alors à Serviès s’installe dans la maison de Montlaur et reprend la boucherie comme en attestent les recensements de 1931 et 1936.

Si la boucherie ferme après quelques années, la famille Olive reste propriétaire de la maison jusque dans les années 2010. Voilà comment la maison de la rue du presbytère est devenue pour tout le monde à Montlaur « Chez Olive ».

SOURCES :
  1. impossible d’en retrouver la référence. Si cela parle à quelqu’un, merci de m’aider à réparer cet oubli ↩︎
  2. d’après M-C Chamla (cf sources), la taille moyenne des conscrits de l’année 1890 était d’1m65. ↩︎
  3. le niveau d’instruction général était codifié en 6 degrés, de 0 à 5 (cf sources) ↩︎

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