Le scandale de la viande de cheval

Etudier la presse ancienne est un formidable moyen d’en apprendre plus sur l’histoire locale et la vie quotidienne des habitants de l’Aude et plus particulièrement de Montlaur au 19ème siècle.

Faits divers, intempéries, saisies et ventes immobilières, fêtes locales, mariages, enterrements… les 1001 événements qui ont rythmé la vie du village se trouvent relatés sur le vif, ouvrant de nouvelles pistes de recherches généalogiques ou historiques.

Les mœurs évoluant sans cesse, il arrive que les préoccupations de nos lointains concitoyens nous semblent d’un autre âge. Des histoires qui ont pu scandaliser l’opinion publique il y a quelques décennies nous semblent aujourd’hui plutôt amusantes voire insignifiantes.

Parfois cependant, à la lecture d’un fait divers du passé, on croirait presque lire la presse du jour tant les événements relatés nous rappellent l’actualité. Ne dit-on d’ailleurs pas que l’histoire est un éternel recommencement ?

C’est ainsi que le 24 mai 1892, le quotidien La Croix du Sud se fait l’écho d’une rumeur qui n’est pas sans rappeler une affaire ayant défrayé la chronique en 2013.

De la viande de cheval à la place du bœuf

Article de "La Croix du Sud" du 24 mai 1892 accusant certains bouchers de faire passer de la viande de cheval pour du boeuf
La Croix du Sud du 24 mai 1892 – source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Quelques mauvais plaisants font circuler, sur le compte des bouchers, certains bruits fâcheux ! Non, ce n’est pas vrai qu’ils vendent, de temps en temps, du cheval pour du bœuf.Nous les savons trop honnêtes gens pour ne pas être innocents ; ils n’auront pas de peine à se justifier.

L’article publié dans La Croix du Sud est très bref et ne fournit aucun détail. On ne sait pas si un boucher en particulier est visé où si c’est l’ensemble de la profession qui est accusée. De même l’auteur ne précise ni depuis quand la rumeur circule ni comment elle a débuté. D’ailleurs, comment a-t-il été informé de l’existence de cette rumeur ?

Malheureusement, je n’ai pas réussi à trouver plus d’informations sur le sujet. La rumeur ne semble pas avoir été reprise dans les autres titres de la presse locale et elle n’a -a priori- pas non plus donné lieu à des disputes ou dégradations.

Le journal est d’ailleurs tellement prompt à afficher son soutien aux bouchers montlaurais que l’on en viendrait presque à se demander s’il n’est pas lui même à l’origine de la rumeur qu’il dénonce.

Il ne nous précise même pas si l’on consommait déjà des lasagnes en 1892 !

Trêve de plaisanterie. S’il est impossible de retrouver le ou les auteurs de la vilaine rumeur, nous pouvons toujours essayer d’identifier les bouchers alors en exercice au village. Peut-être dénicherons nous au passage une information intéressante.

Les bouchers à Montlaur en 1892

Pour identifier les bouchers en exercice au moment des faits, impossible d’effectuer une recherche dans l’annuaire. En effet, la bibliothèque historique des postes et télécommunications nous apprend que le premier annuaire officiel des PTT pour le département de l’Aude n’est publié qu’en 1894.

De plus, même après l’arrivée du téléphone au village, il faut attendre de nombreuses années avant que les coordonnées du boucher du village ne figure dans l’annuaire. En 1975, si quelques artisans et commerçants (épiciers, boulanger, maçons…) sont bien enregistrés dans l’annuaire, toujours point de boucher.

Le moyen le plus sûr d’identifier les bouchers alors en exercice à Montlaur est donc de consulter le recensement le plus proche de l’événement. Les recensements de population, complexes à exploiter dans le cas d’une grande ville, constituent en revanche une mine d’information pour étudier l’histoire locale d’un village comme le nôtre.

On y découvre la composition des foyers, l’organisation des rues du village, les différents commerces et corps de métiers présents,…

Dans notre affaire de rumeur, nous allons donc nous intéresser au recensement de 1891. Ce document peut être consulté en salle de lecture des archives départementales de l’Aude ou bien sur Geneanet (abonnement premium nécessaire).

A cette époque, Montlaur compte alors un peu moins de 1 000 habitants, répartis non pas en rues mais en divers quartiers portant pour la plupart le nom d’un habitant dudit quartier.

Montlaur compte en 1891 trois bouchers. Notre fait divers datant de 1892, on peut imaginer que la situation était sensiblement la même qu’au jour du recensement.

Il y a, tout d’abord, Antoine Taudou (60 ans) qui réside (et exerce ?) dans le Quartier Joulia François.

extrait du recensement 1891 à Montlaur (Aude), montrant Antoine Taudou (65 ans), boucher
Extrait du recensement 1891 – source : Geneanet

Quelques pages plus loin, dans le Quartier du Madon, on rencontre un autre boucher nommé Antoine Taudou, âgé de 35 ans. Ce dernier exerce toujours lors du recensement de 1901.

Antoine Taudou (35 ans); boucher à Montlaur (Aude) selon le recensement de 1891
Extrait du recensement de 1891 – source : Geneanet

Je me suis naturellement demandé quel était le lien entre ces deux bouchers portant le même nom. Sans grand surprise, les registres d’état civil nous apprennent qu’il s’agit du père et du fils. Exerçaient-ils ensemble ou dans des boutiques séparées ? Impossible à dire sur la seule base du recensement.

En revanche, le registre d’état-civil qui m’a permis de confirmer le lien de famille entre nos deux bouchers m’a également dévoilé une anecdote amusante. Antoine Taudou -père- exerçait une tout autre profession avant de devenir boucher.

En 1856, Antoine Taudou était agriculteur et… tondeur de chevaux. !

C’est dans l’acte de naissance de son fils Antoine que j’ai découvert cette information. Qu’elle soit fondée ou non, je pense que l’on tient là l’origine de la rumeur. Comme moi certains Montlaurais de l’époque ont du s’étonner ou s’amuser de cette reconversion professionnelle.

acte de naissance d'Antoine Taudou en 1856. Son père était alors tondeur de chevaux
Acte de naissance d’Antoine Taudou en 1856 – source : archives départementales de l’Aude

Poursuivons maintenant notre étude du recensement. On y rencontre un dernier boucher, dont j’aurais l’occasion de vous reparler plus longuement puisqu’il est un des anciens propriétaires de ma maison. Il s’agit de Jean Maurel.

Âgé de 42 ans en 1891, il réside dans le Quartier de la Poste. Quelques années plus tard, il sera rejoint par son gendre Ferdinand Sournies.

recensement Montlaur (Aude) 1891, Jean Maurel, boucher
Extrait du recensement de 1891 – source : Geneanet

NB : un article de presse nous apprend qu’en 1893, un 4ème boucher est établi au village : Jeanjean. Exerçait-il déjà en 1892 ? Impossible à dire pour le moment.

Avec 3 ou 4 bouchers pour moins de 1000 habitants, la concurrence commerciale devait être rude à Montlaur. Alors est-ce l’un de nos bouchers qui a lancé la rumeur pour discréditer ses concurrents ? Ou bien un client fâché avec l’un ou l’autre de ces artisans ? Voici un mystère qui ne sera sans doute jamais élucidé.

SOURCES :

En savoir plus sur Histoire(s) de Montlaur

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

3 commentaires sur « Le scandale de la viande de cheval »

Laisser un commentaire