Un violent orage cause des dégâts à Montlaur

Au 19ème siècle déjà, les caprices de la météo retenaient souvent l’attention des journalistes. Il faut dire que dans une France encore majoritairement agricole, la météo fait littéralement la pluie et le beau temps économiques d’une bonne partie du pays.

Dans l’Aude comme dans tout l’arc méditerranéen, la météo ne connaît pas la modération. Périodes de grande sécheresse et épisodes pluvieux dits méditerranéens se succèdent livrant la population à la merci des éléments.

Pour la période contemporaine, comment oublier la rupture du barrage de Malpasset dans le Var en 1959 ou les terribles inondations de Vaisons-La-Romaine dans le Vaucluse en 1992 ?

Alors que nous subissons depuis des mois maintenant une sécheresse exceptionnelle dans tout le Val-de-Dagne tandis que d’autres départements sont -littéralement- sous l’eau, le souvenir d’orages dévastateurs reste frais dans les mémoires.

Dans l’Aude, les épisodes récents de 1999 et 2018 ont été particulièrement meurtriers mais ce n’était pas la première fois que l’eau emportait tout sur son passage dans notre département.

Des inondations dramatiques s’étaient déjà produites à la fin du 19ème siècle, notamment en 1891 et 1893. La presse ancienne en a gardé la trace, me permettant d’explorer un nouveau pan de notre histoire locale.

Un épisode oublié par l’histoire

Si de nombreuses recherches ont été effectuées au sujet des inondations ayant frappé l’Aude en octobre 1891 (voir par exemple ici, ici ou encore ), l’inondation de 1893 semble, quant à elle, avoir disparu des mémoires.

Plusieurs éléments expliquent sans doute cela. Tout d’abord, l’événement climatique de 1891 a duré deux jours et touché l’ensemble du département tandis qu’en 1893, les intempéries n’ont duré que quelques heures et semblent beaucoup plus localisées. Dans son compte-rendu, le journaliste de La Dépêche n’évoque que Narbonne et ses environs, Montlaur et dans une moindre mesure nos voisins et concitoyens de Pradelles-en-Val.

De plus, lors des intempéries d’octobre 1891, au moins 12 personnes ont perdu la vie dans le département tandis que l’inondation de 1893 n’a, d’après la presse, fait aucune victime humaine. Cette information semble confirmée (au moins à Montlaur) par l’absence de décès enregistré le jour de l’inondation ou les jours suivants1.

Plus limité dans le temps et l’espace et aux conséquences moins dramatiques qu’en 1891, l’orage de 1893 a donc sombré dans les oubliettes de l’histoire. L’amatrice d’histoire locale, que je suis ne pouvais pas laisser passer cela ! Il me fallait mener l’enquête.

Récit d’un orage apocalyptique

C’est, une fois de plus, en dépouillant méthodiquement la presse ancienne que j’ai découvert l’inondation de 1893. Pensant d’abord lire un énième récit de l’épisode de 1891, plusieurs détails m’ont interpellée et ont attiré mon attention sur la date de rédaction de l’article.

C’est La Dépêche, « journal de la démocratie », édité à Toulouse, qui nous relate cet épisode orageux particulièrement intense, dans son édition du jeudi 14 septembre 1893.

Article publié dans La Dépêche le 14 septembre 1893 et relatant l'inondation qui vient de se produire à Montlaur dans l'Aude
La Dépêche du 14 septembre 1893 – source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque Nationale de France

Montlaur (Aude). – Avant-hier mardi, de quatre heure à six heures du soir, un orage d’une violence inouïe s’est abattu sur la commune de Montlaur. Une véritable trombe a grossi les cours d’eau environnants. Le village a été aux trois quarts inondé, des habitations et des constructions se sont écroulées ; les récoltes sont en majeure partie perdues.
Le habitants, surpris par l’inondation, n’ont pu sauver leurs mobiliers, qui ont été emportés ou démolis et mis hors d’usage par le limon. Des moutons et des chevaux ont été noyés. Des accidents de personnes ont failli se produire. Le torrent a enlevé une partie des équipements du régiment de dragons cantonné dans la commune pour exécuter des manœuvres. En somme, dégâts navrants ; la population est consternée.
Autour du village, dans la campagne environnante, la circulation est interrompue par suite de la rupture des ponts ; les routes sont coupées, certains chemins ont absolument disparu ; Montlaur est pour ainsi dire bloqué.
L’inondation a également fait des dégâts à Pradelles-en-Val et autres localités.

L’orage décrit se caractérise par sa violence et sa brièveté. Si l’on en croit le récit du journaliste, l’orage que personne n’avait vu venir n’a duré que deux heures. Deux heures de pluies intenses qui ont rapidement fait monter le niveau de tous les cours d’eau, inondant le village et emportant tout sur leur passage.

De bêtes se noient et de nombreux dégâts matériels sont à signaler. Deux jours après l’événement, le bilan est lourd. Heureusement, aucune victime humaine n’est à déplorer. En revanche, le village est pratiquement coupé du monde.

Il faut dire qu’à l’époque, et contrairement à Pradelles-en-Val, Montlaur est à l’écart des principaux axes de communication.

Montlaur sur une carte d'état major de l'Aude du 19ème siècle
Montlaur et Pradelles-en-Val sur une carte d’état-major du 19ème siècle – source : Institut Géographique National

La D114 qui traverse aujourd’hui le village n’existe pas en 1893. La route de Carcassonne à Lagrasse, traverse certes des campagnes qui dépendent du village mais le bourg est nettement en retrait de la route. On accède alors à Montlaur par un chemin qui devient rapidement impraticable en cas d’intempéries.

J’apprends également à la lecture de cet article que Montlaur accueillait les manœuvres d’un régiment de dragons. Il s’agit sans doute du 17ème régiment de dragons stationné à Carcassonne.

Si j’ai déjà eu l’occasion de m’intéresser aux dragons carcassonnais en effectuant des recherches sur les anciens propriétaires de ma maison, cette information inédite éclaire d’un nouveau jour mes découvertes précédentes. J’identifie également par la même occasion un nouveau sujet de recherches. Il doit bien être possible de retrouver des traces de ce cantonnement, non ?

Des dégâts considérables

Une catastrophe agricole et économique

L’article, daté du 14 septembre 1893, nous apprend que l’orage s’est produit « avant-hier mardi », soit le 12 septembre 1893. Nous sommes donc à la veille des vendanges dans un village qui tire sa prospérité de la viticulture.

Montlaur compte alors 261 ménages. Le recensement de 1891 (disponible sur Geneanet en accès premium), permet d’identifier au moins 122 familles de propriétaires / cultivateurs ainsi que 46 familles de journaliers et ramonets2. Il faut également prendre en compte le fait que chaque famille ou presque possédait quelques terres même s’il ne s’agissait pas de sa principale source de revenus.

Au regard de la violence de l’épisode décrit, même si la future récolte n’a pas été immédiatement et intégralement détruite, les vignes sont, a minima, totalement inondées et inaccessibles.

Les chevaux utilisés pour tous les travaux agricoles ont péri. Il en est de même pour les vaches et moutons faisant vivre 13 bergers et 1 vacher ainsi que leurs familles.

C’est donc une véritable catastrophe économique qui s’abat sur le village en cet automne 1893.

Tout en mesurant la gravité de la situation pour les Montlaurais de l’époque, une petite part de moi-même se réjouit lorsque je réalise qu’une telle catastrophe a nécessairement laissé des traces administratives dans les archives. Je vais donc pouvoir tirer cet épisode de l’oubli.

Puisque le cataclysme était très localisé et a été oublié de l’histoire officielle, c’est donc dans les archives communales que j’ai le plus de chances de trouver des traces de l’inondation de 1893 et de ses suites.

Je me plonge donc dans les délibérations municipales de l’époque, disponibles sur le site des archives départementales de l’Aude.

Les mesures prises par le Conseil Municipal

Les délibérations municipales constituent une source que j’affectionne particulièrement pour découvrir les sujets qui préoccupaient les Montlaurais au quotidien : aménagement du bourg, secours aux nécessiteux, et insatisfaction quasi-permanente vis à vis du travail des employés communaux qui ont le mauvais goût de ne pas céder aux caprices des uns et des autres !

Les compte-rendus sont souvent truculents et l’on visualise sans peine les échanges parfois vifs entre les participants.

Dans le cas présent, la réaction des élus ne tarde pas, puisque le Conseil Municipal se réunit sous la présence du maire Paul Mas dès le 17 septembre 1893.

Cinq jours seulement se sont écoulés depuis l’inondation. Ils ont sans doute été consacrés à sauver ce qui peut encore l’être et à prendre la mesure de la catastrophe qui vient de frapper le village. Sans doute est-on partagé entre la joie d’être encore tous en vie et la consternation face à tout ce qui est définitivement perdu.

compte-rendu de la séance du Conseil Municipal du 17 septembre 1893 après les inondations ayant frappé Montlaur (Aude)
Compte-rendu de la réunion du Conseil Municipal du 17 septembre 1893 – source : archives départementales de l’Aude

À la lecture de ce compte-rendu, on obtient la confirmation que les vendanges ne pourront pas avoir lieu, la récolte sur pied ayant été détériorée ou perdue.

On découvre également plus en détails l’étendue des dégâts à l’intérieur même du village : non seulement les routes et les murs de soutènement des rivières ont été endommagés mais également le presbytère et l’église ainsi que diverses maisons particulières.

Le Conseil Municipal demande alors deux mesures aux pouvoirs publics :

  • la suspension de l’imposition pour tous les habitants pendant deux ans
  • et l’allocation d’un secours pécuniaire le plus fort possible, pour pouvoir procéder au plus vite aux réparations nécessaires, évaluées, à 30 000 francs minimum.

Quelques pages plus loin, le compte-rendu de la séance du 18 novembre nous apprend que l’inondation a également entraîné la rupture des canalisations alimentant les fontaines du village.

compte-rendu de la séance du Conseil Municipal du 18 novembre 1893 après les inondations ayant frappé Montlaur (Aude)
Compte-rendu de la réunion du Conseil Municipal du 18 novembre 1893 – source : archives départementales de l’Aude

Certains quartiers sont privés d’eau depuis maintenant deux mois. Le Conseil Municipal demande au préfet l’autorisation de traiter de gré à gré avec un entrepreneur afin de faire procéder aux réparations le plus rapidement possible.

Au cours de la même séance, une indemnité est accordée à l’instituteur / secrétaire de mairie, Bertrand Hornac qui a constitué l’ensemble des dossiers de déclaration de pertes occasionnées par la catastrophe naturelle.

décision du conseil municipal de Montlaur accordant une indemnité à Bertrand Hornac pour son travail de déclaration des pertes subies à cause de l'inondation de 1893
Compte-rendu de la réunion du Conseil Municipal du 18 novembre 1893 – source : archives départementales de l’Aude

Je me demande d’ailleurs s’il est possible de retrouver la trace de ces dossiers aux archives départementales. Certain(e)s d’entre-vous ont déjà effectué des recherches similaires ? Dans quels fonds chercher ?

Au cours des mois suivants, on trouve encore mention de cette terrible inondation. Chaque projet de réparation entraînant de nouvelles dépenses, on peut suivre de délibération en délibération la reconstruction du village.

En revanche, et à ma grande surprise, je n’ai trouvé aucune délibération mentionnant le bureau de bienfaisance dans les jours et même les années suivant l’inondation. Je n’ai pas non plus trouvé mention de secours financiers qui auraient été attribués à des particuliers. On ne trouve pas non plus d’habitants sans ressources ou sans emploi au recensement de 1896.

Si les infrastructures et les bâtiments publics ont été durement touchés, tout semble indiquer que les dégâts subis par les habitants se sont finalement révélés moins importants que prévu. La consternation passée, à force de résilience et de travail acharné pour remettre habitations, commerces et terres en état, la vie a sans doute rapidement pu reprendre son train quotidien.

Montlaur, on l’a vu, a été lourdement touché par cette inondation mais qu’en est-il des villages alentours ? On sait à quel point ce type d’aléa climatique peut être extrêmement localisé. Par curiosité, j’ai poussé mes recherches jusque dans le registre des délibérations municipales de Pradelles-en Val pour la même période. Je n’y ai trouvé aucune mention de l’orage ou de l’inondation. Bien que cité dans l’article de La Dépêche, le village n’a visiblement pas subi de dégâts significatifs cette année-là.

SOURCES :
  1. registre des actes de décès de l’année 1893, disponible sur Geneanet (en accès premium) ↩︎
  2. ouvrier agricole généralement logé, dans le Sud de la France. ↩︎

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