Apprentis et contrats d’apprentissage

Lorsque l’on s’intéresse à la généalogie d’une famille ou à l’histoire locale d’un territoire, on réalise très rapidement que les sources d’information disponibles sont innombrables. Certaines semblent évidentes et faciles d’accès, comme les registres d’état civil ou les recensements, par exemple.

D’autres sont plus confidentielles. Non seulement, on ne soupçonne pas toujours leur existence dans les fonds des archives mais même lorsque c’est le cas, on ne sait pas toujours comment y accéder. C’est notamment le cas des contrats d’apprentissage qui font l’objet de ce billet.

Pour identifier ces sources et savoir comment y accéder, il est bien sûr toujours possible de chercher des informations en ligne ou de demander de l’aide aux archivistes présents en salle de lecture. Dans l’Aude, une troisième option plutôt sympathique est proposée.

page de présentation de l'atelier "contrat d'apprentissage" aux archives départementales de l'Aude
page de présentation de l’atelier – source : archives départementales de l’Aude

En effet, outre les classiques cours de paléographie, les archives départementales de l’Aude organisent chaque mois des séances intitulées « Les ateliers de l’histoire » qui permettent à tout un chacun de débuter ou progresser en généalogie. Ces ateliers, animés par les archivistes de la structure, sont gratuits et ouverts à tous, sur inscription.

Hier se tenait donc l’atelier du mois d’avril, consacré au contrat d’apprentissage. J’y participais pour la première fois. Voici le programme alléchant qui m’attendait :

Pendant une heure, partez à le (re)découverte d’un document: un peu d’historique, une pincée de paléographie et une poignée d’informations vous aideront à vous familiariser avec ces archives indispensables pour les généalogistes et amateurs d’histoire.

La découverte d’ancêtres artisans dans sa généalogie mène souvent à s’interroger sur leur vie quotidienne, leur profession, et notamment leur apprentissage. Cet atelier sera l’occasion de mettre l’accent sur les contrats d’apprentissage et les statuts de corporations.

Apprentis et contrats d’apprentissage

Une heure pour découvrir une nouvelle source archivistique, apprendre à la retrouver rapidement dans les fonds et identifier les informations que l’on pourra y découvrir cela peut sembler bien peu. Dans les faits, c’est largement suffisant pour poser le cadre de recherches futures.

Nous étions un tout petit groupe (5 participants) et Elodie Capet, notre professeure pour l’occasion, nous a proposé un exposé érudit et accessible tout à la fois, mêlant rappels historiques, méthodologie et éléments de paléographie.

Alors oui, cela va vite mais on repart avec un document reprenant les principaux points du cours ainsi que les textes étudiés et leur transcription. Bref, de quoi tout reprendre à tête reposée et surtout avoir envie de venir dès que possible en salle de lecture pour appliquer les conseils prodigués !

atelier organisé par les archives départementales de l'Aude autour du contrat d'aprentissage.
ouverture de l’atelier animé par Elodie Capet

Alors qu’ai-je retenu de cet atelier et des recherches complémentaires que j’ai effectuées pour approfondir le sujet ?1

Apprentis, compagnons et maîtres

Au 13ème siècle, à une époque où les corporations rédigent leurs statuts, l’apprentissage constitue la première étape d’un parcours professionnel très hiérarchisé.

Il s’agit d’une étape de formation obligatoire, quel que soit le métier envisagé. J’ai ainsi découvert que sous l’Ancien Régime, la formation des chirurgiens, notaires ou apothicaire passait également par un apprentissage semblable à celui des artisans.

Le futur apprenti (représenté par ses parents s’il est mineur) désireux d’apprendre un métier passe contrat avec un maître qui se propose de lui enseigner son art. Ce contrat pouvait -en théorie- être oral mais il était régulièrement passé devant notaire, ce qui arrange bien le généalogiste !

Au terme de son apprentissage, le jeune ouvrier nouvellement formé devient compagnon. Il exerce chez un maître tout en continuant de se former. Le but du compagnon est d’atteindre un jour la maîtrise qui lui permettra de s’établir à son compte.

Il faut en effet détenir le grade de maître pour pouvoir tenir boutique. Les maîtres ont accompli un chef d’oeuvre ou acheté une lettre de maîtrise et prêté serment. Ils ont eux-mêmes été apprenti puis compagnon. Il y a donc une véritable notion de transmission et de progression par degrés.

Etre apprenti, c’était donc, non seulement apprendre un métier, mais aussi intégrer un groupe social, en partager les valeurs et s’engager à transmettre à son tour ce que l’on a appris.

Cette forme de transmission, bien qu’ayant évolué au fil du temps se retrouve aujourd’hui encore chez les Compagnons du Devoir, par exemple.

Entrer en apprentissage

Etre artisan, au 17ème et au 18ème siècle, confère un certain statut social. C’est donc une profession recherchée.

On devient bien sûr artisan en suivant la voie tracée par ses parents (on signe alors une déclaration d’apprentissage et non un contrat) mais pas uniquement. En effet, lorsque l’on n’est pas fils d’artisan, l’apprentissage est un moyen de quitter le rude travail de la terre et de s’élever socialement, en apprenant un métier et en intégrant une corporation.

On observe toutefois une hiérarchie entre les différents métiers, en fonction de la technicité requise ou de la valeur ajoutée du produit fini. En conséquence, certains artisans envoient également leurs enfants apprendre un métier plus sophistiqué ou mieux considéré que le leur. Là encore, l’objectif est de permettre à la génération suivante de s’élever socialement.

Les orphelins recueillis par dans les hôpitaux de charité sont régulièrement placés en apprentissage afin de leur permettre de quitter un jour la précarité à laquelle ils seraient autrement promis. C’est alors l’intendant des hôpitaux qui place les jeunes gens chez un maître et règle les frais d’apprentissage.

En effet, entrer en apprentissage a un coût et cela représente même souvent un véritable effort financier pour les familles. L’apprenti était généralement logé, nourri et blanchi par son maître. Il revenait à la famille de couvrir ces dépenses, au moyen d’une indemnité, fixée par contrat et versée en une ou plusieurs fois au maître.

Trouver un apprenti parmi ses ancêtres nous renseigne donc au moins partiellement sur le niveau de vie de ses parents. Non seulement, la famille pouvait se passer du travail de l’adolescent à la ferme mais en outre, elle avait les moyens de financer sa période d’apprentissage.

Le contrat d’apprentissage

Si l’apprentissage devient obligatoire dès le 13ème siècle, il prend son essor en même temps que l’artisanat, aux 17ème et 18ème siècles. C’est donc à partir de cette période que l’on peut espérer trouver les contrats d’apprentissage de nos ancêtres dans les archives.

Les principales clauses du contrat comme la durée de l’apprentissage sont fixées par les statuts de la corporation. Ce contrat a pour but de protéger le maître et l’apprenti. Ainsi, le maître ne peut avoir qu’un apprenti à la fois. Il ne peut pas le renvoyer sans motif valable et doit lui fournir nourriture et repos suffisants.

L’apprenti, de son côté, s’engage notamment à servir loyalement son maître jusqu’à la fin du contrat, à travailler avec application et à ne pas dévoiler les secrets de fabrication qu’il apprendra aux côtés du maître.

Le contrat fixe également le montant de l’indemnité versée au maître par la famille de l’apprenti ainsi que les éventuels dommages et intérêts en cas de rupture anticipée du contrat.

Dans l’un de ses derniers articles, Marina, du blog Voyages dans le temps, nous présente justement le contrat d’apprentissage de l’un de ses ancêtres, potier d’étain.

clic sur la bannière pour découvrir l’article de Marina, consacré à son ancêtre potier d’étain

Dans ce document établi en 1712, on découvre notamment les engagements de l’apprenti et du maître. Entré en apprentissage à 13 ans, il est prévu que le jeune homme reste sous l’autorité de son maître pendant 6 ans. Quelques années plus tard, devenu maître, il engage à son tour un apprenti. La transmission de génération en génération est bien là.

Le 19ème siècle marque un tournant majeur dans l’histoire de l’apprentissage. D’un côté, l’industrialisation galopante voit l’artisanat et donc le nombre d’apprentis diminuer et de l’autre, diverses lois viennent peu à peu encadrer ce statut.

La première loi mentionnant expressément le terme de contrat et fixant un cadre national date du 22 février 1851. Plusieurs lois suivent ce premier texte qui précisent la place de l’apprentissage dans l’enseignement en France et fixent un cadre de plus en plus précis jusqu’à faire du contrat d’apprentissage un contrat de travail d’un genre particulier.

En résumé, il est donc possible, à condition que le contrat ait donné lieu à un document écrit et que celui soit parvenu jusqu’à nous, de retrouver le parcours de nos ancêtre apprentis dès le 16ème siècle.

Où et comment retrouver les contrats d’apprentissage de ses ancêtres ?

Les contrats et déclarations d’apprentissage sont conservés dans des fonds différents, en fonction de la période à laquelle ils ont été rédigés.

Attention, quelle que soit l’époque considérée, le contrat est toujours rédigé là où se déroule l’apprentissage, sans tenir compte du lieu de résidence ou de scolarité de l’apprenti.

Sous l’Ancien Régime et au début du 19ème siècle, le contrat est signé devant un notaire. Le plus simple est donc de consulter les tables du contrôle des actes ou de l’enregistrement afin d’obtenir les références permettant d’aller consulter le contrat dans les minutes notariales.

Sur les périodes plus récentes, c’est le juge de paix puis la chambre consulaire dont dépend l’entreprise d’accueil qui enregistre le contrat.

Enfin, bien que la rédaction d’un contrat ou d’une déclaration d’apprentissage soit obligatoire, cette formalité a pu être négligée par les parties mal informées. Jusqu’à la fin du 19ème siècle, ce contrat pouvait également être oral. Enfin, comme pour toute source historique, diverses lacunes peuvent exister dans les fonds conservés. Autant de raisons qui peuvent expliquer qu’on ne retrouve pas le contrat d’apprentissage d’un ancêtre.

Il n’y a donc rien de bien compliqué -en théorie- mais pour y voir plus clair et pouvoir m’y référer plus aisément, j’ai préféré résumer les informations sous forme de tableau.

périodeautorité juridiquefonds à consulter
Ancien RégimenotaireAD – sous-série 72C (contrôle des actes) puis 3E (notaires)
cas particulier des orphelinshôpital de charitéAD – sous série 4HDEPOT
1790-1850notaireAD – sous-série 3Q (enregistrement) puis 3E (notaires)
1851-1940juge de paixAD – sous-série 4U
1940-1958juge de paixAD – série W
depuis 1958chambre consulairechambre consulaire
tableau récapitulatif des différents lieux de conservation des contrats et déclarations d’apprentissage

Si je me suis inscrite à cet atelier avec l’idée de retracer la carrière de deux artisans montlaurais en particulier, j’en suis ressortie avec de nouvelles idées de recherches tant pour l’histoire locale du village que pour ma généalogie personnelle.

Elodie Capet est une archiviste aussi passionnée que passionnante. C’est d’ailleurs là que se trouve le véritable intérêt de cette formule. Il ne s’agit pas uniquement d’un cours méthodologique mais aussi d’une occasion d’élargir sa culture historique et « archivistique » et d’envisager ses propres recherches sous un autre angle.

Alors, si l’idée de rencontrer d’autres généalogistes et passionnés d’histoire locale et d’être judicieusement accompagné dans vos recherches vous tente, n’hésitez pas à participer aux prochains ateliers organisés par les archives départementales de l’Aude.

SOURCES :
  1. toute erreur ou imprécision dans ce qui suit relève entièrement de ma responsabilité et non des informations délivrées au cours de l’atelier ou dans les sources étudiées ↩︎

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2 commentaires sur « Apprentis et contrats d’apprentissage »

    1. C’était vraiment très chouette. Plus je m’y rends, plus je découvre que les AD de l’Aude proposent un tas d’activités intéressantes et gratuites. Ce qui est dommage, c’est qu’ils ne communiquent pas beaucoup pour valoriser ce travail.

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