La mystérieuse disparition d’Anne Faurie

Chaque mois, l’association Geneatech propose aux généablogueurs de plancher sur un thème différent. En mars 2024, le #Généathème du mois est : « archives insolites », un thème qui me laissait plutôt démunie.

logo du généathème de mars 2024 : archives insolites

Lors de ma dernière visite aux archives départementales de l’Aude, j’étais bien tombée sur une carte de visite oubliée dans un registre notarié du 19ème siècle mais il n’y avait pas vraiment de quoi rédiger un billet.

Je pensais donc passer mon tour, lorsqu’en feuilletant les registres d’état civil, j’ai été intriguée par une étrange mention marginale.

Les mentions marginales offrent souvent des informations et pistes de recherche précieuses pour le généalogiste. Placées, comme leur nom l’indique, en marge des actes d’état civil, elles en offrent un résumé, facilitant la recherche dans les registres. En fonction des époques, elles peuvent également comporter de précieuses informations sur les grandes étapes de la vie d’un individu : adoption, mariage, divorce, décès…

Ça n’est d’ailleurs pas la première fois que les mentions marginales me donnent matière à rédiger un billet. Il y a quelques temps déjà, je m’étais intéressée aux causes de décès des Montlaurais en 1853. J’avais pu mener cette petite étude parce qu’un officier d’état civil zélé avait scrupuleusement noté cette information en marge de chaque acte de décès enregistré dans l’année.

Aujourd’hui, c’est l’identité même de la défunte qui me donne matière à enquêter. En effet, le nom de la défunte est suivi de l’expression « d’après ce que l’on croit », expression reprise plusieurs fois dans l’acte en lui-même.

Il n’en fallait pas plus pour éveiller ma curiosité et m’inciter à me lancer dans une nouvelle enquête généalogique. Enquête qui n’a malheureusement pas été couronnée de succès… pour le moment.

J’ai d’ailleurs longuement hésité avant de publier cet article en l’état mais je me suis dit que poser les éléments à plat me permettrait peut-être d’y voir plus clair. C’est aussi une bonne leçon d’humilité. Lorsque l’on fait des recherches généalogiques, l’échec fait parfois partie de l’aventure. Il faut savoir l’accepter et passer à autre chose sans pour autant renoncer totalement à la possibilité de débloquer la situation un jour.

Début d’enquête dans l’Aude

Montlaur, janvier 1903. En ce début d’année, le premier décès enregistré par l’officier d’état civil est celui d’une certaine Lucie Anna Faurie, épouse d’après ce que l’on croit du sieur Calmel habitant le Lot.

Son décès est déclaré en mairie par l’instituteur et l’un des cafetiers du village. Comme le laisse supposer la mention marginale, le contenu de l’acte nous dévoile qu’à Montlaur, on sait bien peu de choses au sujet de celle qui vient de décéder.

Lucie Anna Faurie serait âgée d’environ 45 ans, originaire du Lot-et-Garonne et épouse d’un certain M. Calmel résidant dans le Lot. Lorsqu’elle décède à Montlaur, on ne lui connait pas d’enfant.

Ces informations sont aussi précises sur certains points que lacunaires sur d’autres. A tel point que cet acte de décès soulève plus de questions qu’il n’apporte de réponses.

Comment et pourquoi Lucie Anna Faurie est-elle venue jusqu’à Montlaur ? Depuis quand réside-t-elle dans l’Aude ? Pourquoi son mari est-il resté dans le Lot ? Chez qui vit-elle ? De quoi vit-elle puisqu’elle portée « sans profession » ? Est-elle vraiment sans descendance ?

Face à tant de mystères autour de son histoire, j’en viens même à me demander si le prénom qu’on lui connait à Montlaur est vraiment le sien…

Son acte de décès ne nous précisant pas depuis quand Lucie Anna Faurie résidait au village, je commence mon enquête, comme bien souvent, par l’étude des recensements. Cela tombe bien, le recensement de 1901 est disponible en ligne sur le site des archives départementales de l’Aude.

Malheureusement, pas le moindre trace d’une Lucie Anna Faurie à Montlaur en 1901. Notre mystérieuse inconnue est donc arrivée au village relativement peu de temps avant son décès. Peut-être même n’était-elle qu’en transit à Montlaur ? Elle avait malgré tout eu le temps de confier quelques informations à ses voisins.

Une première piste grâce à Geneanet

Ne trouvant aucune information concernant Lucie Anna Faurie dans les archives audoises relatives à Montlaur, je décide d’aller fouiller dans l’immense base de données de Geneanet. Ce serait bien le diable si je ne trouvais rien !

En guise de trouvaille, j’ai été servie puisque je suis tombée sur une disparition mystérieuse vieille de 129 ans !

Comme la recherche précise « Lucie Anna Faurie » ne donnait rien de concluant, Je lance une recherche sur le couple Faurie/Calmel. Toutes les réponses pointent vers les département du Lot et du Lot-et-Garonne. Voilà qui semble prometteur. Je tombe alors rapidement sur un arbre généalogique dans lequel figure une certaine Anne Faurie et son mari Martin Calmel.

Elle est originaire du Lot-et-Garonne et lui du Lot. Si ces informations sont plutôt prometteuses, je reste malgré tout dubitative. En effet, l’épouse s’appelle Anne et non Anna ou Lucie.

J’allais refermer la page lorsque je remarque une information inattendue dans les notes rédigées par la propriétaire de l’arbre.

Anne et son époux Martin ont tous deux disparu sans laisser de trace en 1895 !

Anne et Lucie Anna pourraient-elles être une seule et même personne ? La coïncidence semble trop belle pour n’être justement qu’une coïncidence.

La prudence est de mise toutefois. Si j’envisage de communiquer l’acte de décès à leur descendante, je ne peux pas prendre les choses à la légère. Même plus d’un siècle après, le sujet est sans doute encore sensible et je ne veux pas risquer de fournir de fausses informations. Des recherches plus approfondies s’imposent.

Sur les traces d’Anne Faurie et Martin Calmel

Je m’intéresse donc à Anne Faurie et Martin Calmel, le couple présent sur Geneanet. La propriétaire de l’arbre a déjà effectué des recherches précises à leur sujet. Retrouver les actes concernés est donc chose aisée.

Son acte de naissance nous apprend qu’Anne Faurie est née le 20 novembre 1855 à Saint Vite dans le Lot-et-Garonne. Son père est charpentier. Après vérification, un seul prénom est mentionné dans l’acte. Aucune mention du prénom Lucie, aucune possibilité non plus de lire Anna à la place d’Anne.

acte de naissance d'Anne Faurie en date du 20 novembre 1855 à Saint Vite dans le Lot et Garonne
Acte de naissance d’Anne Faurie – source : archives départementales du Lot-et-Garonne

Anne Faurie aurait donc eu 47 ans en janvier 1903. L’acte de décès de Lucie Anna, quant à lui, nous indique qu’elle était âgée d’environ 45 ans. La différence est insignifiante. Pourrait-il vraiment s’agir de la même personne ?

Martin Calmel, quant à lui, est né le 6 mai 1849 à Cahors dans le Lot, de parents cultivateurs. Sa fiche matricule qui pourrait nous dire à quelle date l’administration militaire perd sa trace, n’est malheureusement pas disponible en ligne.

Anne Faurie et Martin Calmel se marient le 11 juin 1873 à Fumel, dans le Lot-et-Garonne. Martin est alors ouvrier, sans doute à l’usine sidérurgique de la commune.

L’arbre généalogique publié sur Geneanet nous apprend également que le couple a eu 3 enfants : Gabrielle, née en 1874, Gabriel, né en 1876 et Clément né en 1880.

Si l’aînée naît à Fumel, les deux plus jeunes naissent et décèdent à Cahors. La famille se serait donc installée dans le Lot d’où est originaire Martin. Là encore, les informations dans l’arbre généalogique d’Anne Faurie et Martin Calmel semblent coïncider avec celles figurant dans l’acte de décès d’Anna Lucie. En effet, souvenez-vous, il y est précisé que son mari réside dans le Lot.

Sur la base de ces jalons, je peux donc (tenter de) retracer le parcours de la famille. Mon but à ce stade est de dater le plus précisément la disparition d’Anne et Martin et de trouver où ils vivaient juste avant de disparaître.

Je délaisse pour un temps Gabrielle. Sa naissance à Fumel m’intéresse assez peu puisqu’elle a eu deux petits frères.

En 1876, Gabriel naît à Cahors. Son acte de naissance nous précise qu’il naît au hameau de Regourd. Son père, Martin, est désormais mineur. Quatre ans plus tard, à la naissance de Clément, en 1880, la famille habite 3, rue du rempart.

Je décide donc de poursuivre mes recherches dans les recensements de Cahors. Malheureusement, le premier recensement disponible sur le site des archives départementales du Lot est celui de 1886. Il peut s’en passer des choses en 6 ans !

Et effectivement, nouvelle déconvenue, en 1886, la famille Calmel n’habite déjà plus rue du rempart. Habite-t-elle seulement encore Cahors ? Difficile à dire en l’état des données disponibles. Le recensement en question n’ayant pas été indexé, je ne me sens pas le courage de contrôler chacune des 200 pages.

Sur les traces des enfants Calmel

A ce stade de mes recherches, bien que les difficultés se multiplient, je n’envisage pas pour autant de lâcher l’affaire. J’ai beau n’avoir aucun lien avec cette famille, son destin me touche et je veux découvrir la vérité.

J’ai bien conscience que la propriétaire de l’arbre généalogique que j’étudie a sans doute déjà mené toutes les recherches possibles et imaginables pour retrouver la trace de ses ancêtres mais malgré tout, je m’accroche à l’idée que je finirais peut être par dénicher une information nouvelle.

Je voudrais surtout trouver la preuve que Lucie Anna Faurie, décédée à Montlaur en 1903 et Anne Faurie, disparue à Cahors dans les années 1890 sont bien une seule et même personne.

Je m’intéresse donc aux enfants du couple pour essayer de dater la disparition de leur parents. En effet, leur descendante indique que la disparition s’est produite en 1895. Je veux donc trouver la source de cette information.

Clément, le petit dernier, décède avant d’avoir atteint l’âge de 19 ans. Il s’éteint le 3 avril 1899 à l’hospice de Cahors. Si ses parents sont bien nommés dans son acte de décès, nulle mention de leur disparition.

Gabriel, quant à lui, décède à 31 ans, le 28 septembre 1907, à Cahors également. Sur son acte de décès parents sont portés comme décédés. On y apprend également qu’il était journalier, célibataire et sans domicile fixe.

Conscrit en 1896, sa fiche matricule nous informe qu’il vit alors avec ses parents à Carlucet, dans le Lot. Il y a toutefois une erreur sur le prénom de sa mère, baptisée ici Marie et non Anne.

fiche consacrée à Gabriel Calmel dans le registre matricule des conscrits de 1896 à Cahors
Extrait de la fiche matricule de Gabriel Calmel – source : archives départementales du Lot

Au recensement de la même année, on le trouve bien en tant que domestique de ferme chez Baptiste Malaurie. En revanche, contrairement à ce qui est indiqué sur sa fiche matricule, aucune trace de ses parents…

Si les deux garçons décèdent jeunes et sans descendance, Gabrielle, elle se marie le 4 janvier 1896 à Asnières. C’est dans son acte de mariage que je trouve enfin la première mention officielle de la disparition de ses parents.

extrait de l'acte de mariage de Gabrielle Faurie en 1896, mentionnant la disparition de ses parents
Extrait de l’acte de mariage de Gabrielle Faurie – source : archives départementales des Hauts-de-Seine

Un acte de notoriété constatant leur absence a même été dressé par le juge de paix du canton de Fumel le 8 décembre 1895. Espérant y trouver informations précieuses sur la date et le contexte de la disparition d’Anne et Martin, j’ai donc demandé une copie de ce document aux archives départementales du Lot-et-Garonne.

J’allais enfin progresser dans mon enquête ! Mais, vous la voyez venir la nouvelle embûche ? Les collections relatives aux justices de paix sont lacunaires et l’acte du 8 décembre 1895 fait partie de ceux qui ont disparu -_-‘ .

D’ailleurs, si des juristes passent par ici, j’ai deux petites questions de droit. Pourquoi l’acte de notoriété est établi à Fumel et non à Cahors, dernier domicile connu de Martin et Anne ? Après combien de temps sans nouvelles, pouvait-on faire reconnaître juridiquement l’absence ?

La mariage de Gabrielle avec Louis Eugène Jean Gillet est l’occasion de légitimer deux enfants nés respectivement le 6 décembre 1893 et le 18 mai 1895. Si Louis Gillet est bien le père des enfants, cela signifie que Gabrielle avait donc quitté le Lot au moins depuis fin 1892 / début 1893. Alors à quel moment a-t-elle réellement cessé d’avoir des nouvelles de ses parents ?

Bien qu’un peu découragée j’ai malgré tout continué de creuser parmi la multitude de données indexées sur divers sites de généalogie sans trouver de traces d’Anne (ou de Lucie Anna) et Martin. Je ne les ai pas non plus trouvés dans les tables de successions et absences du Lot et du Lot-et-Garonne. Par acquis de conscience, j’ai même cherché dans les tables décennales de Cahors et Fumel s’ils n’avaient pas eu d’autres enfants après 1880, en vain.

C’est donc là que s’arrête mon enquête pour le moment. Même si je suis maintenant convaincue qu’Anne et Lucie Anna sont une seule et même personne, chaque piste explorée pour retracer son parcours m’a menée à une impasse.

Si c’est la curiosité qui m’a d’abord poussée à étudier l’histoire de cette famille, j’ai rapidement été touchée parce que je découvrais. Quel événement, quel drame a bien pu pousser Anne et Martin à se séparer pour prendre la fuite, sans donner de nouvelles à leurs enfants ? En 1895, Clément, le plus jeune n’avait alors que 15 ans. Martin était ouvrier ; la famille n’était donc pas sans ressources. Pourtant, suite à la disparition de leurs parents, les deux fils meurent visiblement dans la précarité.

J’ai recherché dans la presse de locale de l’époque tant le signalement de leur disparition que le récit d’un événement remarquable qui aurait pu être à l’origine de leur fuite, sans rien trouver une fois de plus.

Cette fuite est d’autant plus mystérieuse qu’elle dure près de 10 ans et qu’à son décès Lucie Anna semble ignorer que son mari a lui aussi disparu puisqu’elle le déclare résidant toujours à Cahors… Ou bien, cache-t-elle un secret ? Cela expliquerait son changement de prénom.

Et puis, où était Lucie Anna pendant toutes ces années, avant d’arriver à Montlaur ? Et comment est-elle arrivée jusqu’ici ? Il lui a fallu parcourir 228 km. Non seulement l’Aude n’est pas le département le plus proche du Lot mais en plus, Montlaur est situé à l’écart des grands axes de communication. Encore aujourd’hui, on y arrive rarement par hasard.

distance entre Cahors et Montlaur,lieux où à vécu et est morte Anne Faurie
Le périple d’Anne Faurie – carte créée grace à uMap

Je referme donc ce cold case pour le moment sans perdre toutefois espoir de le rouvrir un jour. Puisque c’est une découverte fortuite qui m’a conduite sur la piste de ce mystère, peut-être que d’autres indices se cachent encore, attendant d’être dénichés.

Peut-être finirais-je par obtenir la fiche matricule de Martin ? Peut-être qu’une copie de l’acte de notoriété disparu refera surface ? Peut-être enfin que la progression de l’indexation des recensements et de l’état civil m’ouvrira de nouvelles pistes dans quelques mois ou quelques années ?

Si vous pensez à des sources que je n’ai pas exploitées, n’hésitez pas à m’en faire part où à prendre le relais des recherches si cette histoire vous intrigue autant que moi.

SOURCES

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7 commentaires sur « La mystérieuse disparition d’Anne Faurie »

  1. Encore un joli mystère à éclaircir ! Je n’ai pas d’idée pour le moment mais peut être que prendre contact avec leur descendante serait tout de même judicieux, même sans avoir la preuve formelle que Anne et Lucie Anna sont un seule et même personne ?

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    1. J’ai écrit à leur descendante en lui envoyant l’acte de décès et en lui expliquant que je ne pouvais lui offrir aucune certitude mais qu’il s’agissait peut être de son ancêtre. Libre ensuite à cette personne de creuser ou non.

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    1. Merci pour votre visite et votre commentaire. Je pense que sans cette découverte totalement fortuite, Anna aurait gardé le secret du lieu et de la date de son décès encore bien longtemps

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  2. J’ai pris beaucoup de plaisir à lire votre article :). C’est une énigme qui est vraiment passionnante et qui donne envie de creuser davantage.

    C’est bien dommage que l’acte du juge de paix soit manquant. Peut-être qu’en cherchant dans les actes de l’enregistrement aux archives départementales (actes judiciaires), vous trouverez peut-être quelques éléments (à priori date, nature du jugement, référence du tribunal, noms des parties). Je n’en suis pas vraiment convaincu mais sait-on-jamais.

    J’espère que vous parviendrez à résoudre cette belle énigme.

    Aimé par 1 personne

    1. Bonjour,
      Merci d’avoir pris le temps de lire et commenter cet article.
      Je pense effectivement qu’en me rendant aux AD du Lot-et-Garonne je devrais pouvoir en apprendre plus mais ça n’est pas au programme pour le moment.
      En outre, depuis la publication de cet article, j’ai été en contact avec la descendante de ce couple qui m’a appris quelques éléments complémentaires qu’elle a découverts mais n’a pas publiés sur Geneanet.

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