Les Sœurs de l’Ange Gardien – épisode 1

Les recensements de population font partie des premières sources que j’ai explorées lorsque j’ai débuté mes recherches sur l’histoire de Montlaur. A l’origine, je cherchais simplement à retrouver les anciens propriétaires de ma maison. J’ai rapidement réalisé que j’avais sous les yeux une véritable photographie du village a un instant précis : nombre d’habitants, professions, taille et composition des foyers…

Les recensements montlaurais ne sont pourtant pas les plus simples à analyser. En effet, les noms de rues sont très rarement mentionnés alors même qu’ils sont attestés dans d’autres sources. Les habitants sont donc le plus souvent regroupés par quartiers dont la dénomination et le découpage changent d’un recensement à l’autre.

Le nom même des quartiers ne permet pas toujours de les localiser précisément : soit ils portent le nom d’une famille y résidant soit ils sont extrêmement vagues : quartier nord / quartier centre / quartier sud.

Enfin, en 1836, l’agent chargé du recensement a pris l’initiative (plus que fâcheuse pour le généalogiste ou l’historien local) de classer les habitants dans l’ordre alphabétique des chefs de famille plutôt que par adresse.

Bref, même après leur avoir consacré des heures et des heures de travail, je suis loin d’avoir décodé toutes les informations contenues entre ces précieuses pages. Alors, inlassablement, je continue de noter, de comparer, de formuler des hypothèses… Parfois, c’est un nom qui m’interpelle, parfois une profession ou un commentaire laissé par l’agent recenseur.

Dès le début de mes recherches, j’ai été intriguée par la présence récurrente de deux à trois religieuses enregistrées comme Sœurs de l’Instruction Chrétienne ou Sœurs de l’Ange Gardien selon les années. Le recensement de 1851 – un des plus riches en informations – mentionne même une rue du couvent ! Un couvent à Montlaur ?! Vraiment ?

Dès lors, ma curiosité était piquée et je devais essayer d’en savoir plus. A vrai dire, j’avais déjà entendu parler d’une école tenue par des religieuses à Montlaur mais sans plus de détails.

Il est donc temps d’ouvrir une nouvelle enquête historique qui s’étalera sur plusieurs semaines. En effet, il y a beaucoup d’énigmes à élucider dans ce dossier et même quelques fausses pistes.

Cette semaine, nous allons principalement nous intéresser aux origines de l’école tenue par les Sœurs de l’Ange Gardien. Comme vous allez le voir, cette tranche d’histoire locale est intimement liée à celle de l’instruction en France.

Des Sœurs de l’Instruction Chrétienne aux Sœurs de l’Ange Gardien

Une fois n’est pas coutume, c’est avec l’aide de Google que je vous propose de débuter les recherches. Avant de nous intéresser aux religieuses présentes à Montlaur, il est nécessaire d’en savoir plus sur les Sœurs de l’Instruction Chrétienne et sur les Sœurs de l’Ange Gardien.

S’agit-il d’une seule congrégation ayant changé de nom au fil du temps ou bien s’agit-il de deux congrégations différentes qui se seraient succédé au village ?

Une congrégation aux racines audoises

Sans grande surprise, le moteur de recherche nous renvoie rapidement vers une page Wikipedia. Si je consulte toujours cette encyclopédie collaborative avec circonspection, elle reste très intéressante lorsque l’on cherche des informations factuelles : dates, noms, lieux…

L’article consacré aux Sœurs de l’Ange Gardien est bref mais nous fournit suffisamment d’informations pour la suite de nos recherches. On y apprend qu’il s’agit d’une congrégation religieuse féminine approuvée par le Vatican et s’étant fixé pour missions l’enseignement et le soin des malades, en hôpital ou à domicile.

L’histoire des Sœurs de l’Ange Gardien débute à Quillan, dans la Haute Vallée de l’Aude. En 1833, le Père Louis-Antoine Ormières décide d’ouvrir une école primaire.

En effet, la Loi Guizot du 28 juin 1833 instaure un système scolaire public tout en établissant la liberté de l’enseignement. Désormais chaque commune (ou groupement de communes) doit disposer d’une école primaire. Celle-ci peut être publique ou privée.

Attention, ces deux termes ont alors un sens légèrement différent de celui qu’on leur connaît aujourd’hui ! En effet, les lois rendant l’instruction obligatoire et affirmant la gratuité et la laïcité de l’enseignement public sont encore loin. La distinction porte alors uniquement sur le mode de financement de ces écoles et sur l’autorité nommant les professeurs.

L’école est publique dès lors qu’elle est financée tout ou en partie par la commune et que l’instituteur est nommé par le conseil municipal. A cette époque, et c’est très important dans notre cas, l’instituteur public peut donc être un civil comme un membre d’une congrégation religieuse. Dans toutes les écoles, privées ou publiques, un enseignement religieux est obligatoirement délivré.

En 1839, quelques Sœurs de l’Instruction Chrétienne rejoignent le curé Ormières pour l’aider à mener à bien son projet d’école. En 1852, Napoléon III reconnaît la communauté réunie à Quillan comme congrégation autonome qui prend alors le nom de Sœurs de l’Ange Gardien.

Les apports de la Loi Falloux

La Loi Falloux du 15 mars 1850 marque un nouveau tournant dans l’histoire de l’Education en France… et dans celle de nos religieuses quillanaises.

Cette loi instaure de nombreux concepts qui perdurent aujourd’hui encore sous une forme ou une autre. Elle créée les académies et place à leur tête des recteurs, fixe les termes d’école publique et d’école libre, dispose que l’instruction doit être gratuite pour toutes les familles qui ne sont pas en mesure de financer la scolarité de leur enfant, etc.

Enfin, et c’est ce qui nous intéresse particulièrement aujourd’hui, la Loi Falloux encourage l’ouverture d’écoles primaires de filles. Le chapitre V du titre II leur est intégralement consacré.

Art.51. – Toute commune de huit cents âmes de population et au-dessus est tenue, si ses propres ressources lui en fournissent les moyens, d’avoir au moins une école de filles.

LOI FALLOUX DU 18 MARS 1850

Les congrégations religieuses vont jouer un rôle important dans ce développement tout au long du 19ème siècle. En effet, dans de nombreuses communes, elles n’ont pas attendu la Loi Falloux pour ouvrir des écoles de filles. Il leur arrive aussi de se substituer aux communes n’ayant pas les moyens d’entretenir de tels établissements.

Des succursales dans tout le département de l’Aude

Comme en témoigne le document ci-dessous, suite à la promulgation des Lois Guizot et Falloux, les religieuses quillanaises s’installent dans tout le département de l’Aude et ouvrent 11 écoles au total (le site de Fanjeaux est un hospice uniquement).

Liste des villes audoises ayant accueilli une congrégation de sœurs de l'ange gardien
Villes audoises dans lesquelles se sont établies les Sœurs de l’Ange Gardien – source : archives départementales de l’Aude

Il s’agit de la couverture d’un dossier consacré aux différents établissements de la congrégation et conservé aux archives départementales de l’Aude en série 1V (Cultes). En tête de liste, on repère immédiatement Montlaur. En effet, avec ses 973 habitants au recensement de 1851, le village semble tout désigné pour accueillir une école de filles.

Un document émanant de la congrégation et daté de janvier 1902 nous apprend que l’école de Montlaur fonctionne grâce aux frais de scolarité payés par les familles et aux dons de généreux bienfaiteurs. A cette date, l’école est donc privée.

Sœurs de l'Ange Gardien : omposition de la succursale de Montlaur (Aude)
Quelques établissements audois des Sœurs de l’Ange Gardien en juin 1902 – source : archives départementales de l’Aude

A ce stade de nos recherches, nous savons donc que, dans ce cas précis, les expressions Sœurs de l’Instruction Chrétienne et Sœurs de l’Ange Gardien désignent une seule et même entité en fonction des époques. Il n’y a donc eu qu’une seule communauté de religieuses à Montlaur au 19ème siècle.

Nous savons aussi désormais que l’école montlauraise était en activité en 1902 mais quand a-t-elle ouvert ? Après la publication de la loi Falloux ou bien avant ?

L’installation des Sœurs de l’Ange Gardien à Montlaur

Le dossier consacré à l’école montlauraise dans les collections des archives départementales de l’Aude est à la fois riche en informations sur certains sujets et très lacunaire sur d’autres. En effet, il concerne essentiellement les dernières années de présence des religieuses au village. Il s’agit en outre d’un dossier purement administratif, constitué par la Préfecture de l’Aude dans un but bien précis : surveiller les activités de la congrégation.

Les archives propres à la congrégation sont des archives privées qui n’ont pas été versées aux archives départementales de l’Aude. Elles sont peut-être toujours conservées par les Sœurs de l’Ange Gardien comme elles ont pu être détruites ou encore versées aux archives départementales du Tarn et Garonne puisque c’est dans ce département qu’à été transféré le siège de la congrégation en 1859.

Quoi qu’il en soit, nous allons devoir nous passer de cette ressource. Il va donc falloir faire preuve d’ingéniosité et consulter des sources moins directes pour retracer les premières années d’existence de l’école.

De l’hypothèse de l’abbé Cabirol…

Pour retrouver la date de l’installation des religieuses au village, nous disposons d’une piste donnée par le curé Pierre Cabirol et reprise plus tard par Georges Taudou dans leurs monographies respectives consacrées au village.

1850 – […] Établissement d’une école de Sœurs de l’Ange-Gardien pour l’éducation des jeunes filles. (Cabirol, 1926, p.218)

En 1850. […] Etablissement d’une école de sœurs pour l’éducation des jeunes filles. (Taudou, 1952, p.18-19)

D’après ces deux ouvrages, les religieuses auraient donc ouvert leur école en 1850. Malheureusement, aucun des deux auteurs ne précise d’où il tire cette information. Elle est donc sujette à caution. D’autant plus qu’en 1850, les Sœurs de l’Ange Gardien n’existaient pas encore ; il s’agit alors de Sœurs de l’Instruction Chrétienne. Cette imprécision en cache-t-elle une autre ?

1850, c’est l’année de promulgation de la Loi Falloux évoquée plus haut ; il n’est donc pas insensé de penser que l’école de filles de Montlaur a ouvert dans la foulée mais il va falloir le prouver par l’historiographie1.

Art. 31. – Les instituteurs communaux sont nommés par le conseil municipal de chaque commune […] sur la présentation qui est faite par les supérieurs pour les membres des associations religieuses vouées à l’enseignement et autorisées par la loi ou reconnues comme établissements d’utilité publique.

LOI FALLOUX DU 18 MARS 1850

Puisque la loi dispose que les instituteurs et institutrices communaux sont nommés en conseil municipal, si l’école a ouvert en application de la Loi Falloux, on doit nécessairement en trouver la trace dans les registres des délibérations municipales.

Ces registres font, par chance, partie des quelques documents mis en ligne sur le site des archives départementales de l’Aude. Au cours de la séance du 19 mai 1850 (vue 81/184), le Conseil Municipal de Montlaur vote effectivement une subvention pour « l’entretien d’une École primaire communale de filles ».

La directrice est sœur Ste Chantal et l’école scolarise 31 fillettes. La commune prend en charge les frais de scolarité de cinq d’entre elles.

extrait d'une délibération municipale relative à l'école tenue par les Soeurs de l'ange gardien à Montlaur
Délibération du 19 mai 1850 – source : archives départementales de l’Aude

L’autorisation rectorale d’ouverture a été délivrée le 25 mars 1850, soit très exactement une semaine après la promulgation de la Loi Falloux !

Au premier abord, ce document semble donc confirmer les propos de l’abbé Cabirol. Toutefois, cette rapidité m’interpelle. Il est hautement improbable qu’en si peu de temps toutes les démarches administratives soient effectuées, qu’une institutrice soit dépêchée à Montlaur et que plus de la moitié des fillettes du village soient scolarisées !

Je soupçonne alors que l’école a ouvert bien plus tôt que ne le pensait l’abbé Cabirol et que cette autorisation obtenue en 1850 vient uniquement modifier le statut d’un établissement qui existait déjà.

… à sa remise en question

Si cette hypothèse est correcte, on doit donc trouver des preuves de la présence des sœurs et de leur école antérieures à 1850. Allons les chercher ensemble.

Pour cela, consultons à nouveau les délibérations du conseil municipal pour vérifier si l’école de filles a déjà été évoquée en séance avant le 19 mai 1850.

Il n’y a pas à chercher bien longtemps pour obtenir la preuve souhaitée. En effet, au cours de la séance du 5 août 1849 (vue 76/184) le conseil municipal s’exprime sur la demande formulée par sœur Ste Chantal, directrice d’une école de filles sur la commune.

délibération municipale concernant une école privée de filles sur la commune de Montlaur (Aude)
Délibération du 5 août 1849 – source : archives départementales de l’Aude

[…] M. le Maire a fait part au conseil d’une lettre de la sœur Ste Chantal, sous la date du 25 juillet dernier ; par laquelle cette sœur, jusques aujourd’hui Institutrice privée dans la commune demande à être nommée Institutrice communale.

Le Conseil municipal, considérant que la sœur Ste Chantal mérite la bienveillance de l’administration, avec d’autant plus de raison qu’on s’aperçoit journellement des progrès que font les élèves qui fréquentent son école, est d’avis d’accueillir la demande de la sœur Ste Chantal, et prie l’administration supérieure de lui accorder le titre d’Institutrice communale qu’elle sollicite. […]

Ce texte nous apprend qu’une école de filles (privée) existe déjà à cette date à Montlaur. Elle jouit même d’une certaine notoriété et de toute la confiance des élus municipaux. Elle est sans doute déjà établie depuis un certain temps.

Ainsi, la décision prise en conseil municipal et l’autorisation rectorale accordée en 1850 ne viennent pas créer une école de filles à Montlaur comme le pensait l’abbé Cabirol mais transformer une école privée pré-existante en école communale.

Attention, ce statut d’école communale est remis en question chaque année avec le renouvellement ou la suspension de la subvention municipale. L’école peut donc redevenir privée si le conseil municipal en décide ainsi. Elle doit alors trouver de nouveaux fonds privés pour continuer d’assurer son fonctionnement, ce qui est visiblement le cas en 1902.

Nous savons donc désormais avec certitude que l’école de filles tenue par les religieuses existait avant 1850. Mais alors depuis quand ?

Formulation d’une nouvelle hypothèse

Pour ne pas chercher à l’aveuglette, essayons de borner la période au cours de laquelle cette ouverture a pu avoir lieu. Sur la base des informations contenues dans les délibérations du conseil municipal, nous venons de fixer le terminus ante quem2 à 1849.

Nous savons également, grâce au dossier conservé aux archives départementales de l’Aude, que l’école montlauraise est une émanation de l’école de Quillan. Les religieuses n’arrivant à Quillan qu’en 1839, l’école de Montlaur ne peut pas ouvrir avant cette date. Il s’agit de notre terminus post quem3.

Ainsi, l’école de filles de Montlaur aurait ouvert entre 1839 et 1849, une fenêtre de 10 ans qu’il va maintenant falloir essayer d’affiner au maximum.

Malheureusement, plus on recule dans le temps, plus les sources disponibles se font rares et imprécises. Par exemple, La Semaine religieuse du Diocèse de Carcassonne, dont la lecture m’a été chaleureusement recommandée par monsieur B., et qui aurait pu se révéler précieuse dans ce cas précis, n’existe qu’à partir de 1868.

Utilisons maintenant les recensements de population pour tenter d’y déceler la présence des sœurs. Sur la période qui nous intéresse, la population montlauraise a été recensée en 1841 et en 1846. Seul le recensement de 1846 est parvenu jusqu’à nous.

religieuses de l'instruction chrétienne à Montlaur (Aude) au recensement de 1846
Extrait du recensement de 1846 – source : archives départementales de l’Aude

On y découvre (vues 4-5/19) la présence de deux Sœurs de l’Institution / Instition (sic) Chrétienne. Il s’agit bien évidement en réalité de Sœurs de l’Instruction Chrétienne. Nous voici donc avec un nouveau terminus ante quem.

Nous savons donc maintenant que l’école de filles tenue par les religieuses à Montlaur a certainement ouvert entre 1839 et 1846. Elle a été fondée par les Sœurs de l’Instruction Chrétienne, devenues à partir de 1852, Sœurs de l’Ange Gardien. Cette école, d’abord privée, a obtenu le statut d’école communale en 1850 avant de redevenir privée. Pour autant, ce sont bien des religieuses qui y ont assuré l’enseignement tout au long de la période.

Dans les prochains épisodes, nous nous intéresserons à l’identité des sœurs et de leurs élèves ainsi qu’à l’emplacement de l’école dans le village. Enfin, nous essaierons de découvrir à quelle date et pour quels motifs l’école a fermé.

NB : mon but n’est pas de dénigrer par principe le formidable travail de compilation effectué par l’abbé Cabirol sur notre village. Par de nombreux aspects, sa monographie reste pertinente près de 100 ans après sa rédaction. Je propose simplement une lecture critique de ses travaux, à la lumière des sources complémentaires à ma disposition et auxquelles il n’avait pas nécessairement accès.

SOURCES :
  1. c’est à dire en utilisant l’ensemble des sources historiques relatives à notre sujet. ↩︎
  2. date la plus récente à laquelle un événement a pu se produite lorsque sa datation est incertaine. ↩︎
  3. date la plus ancienne à laquelle un événement a pu se produire lorsque sa datation est incertaine. ↩︎

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2 commentaires sur « Les Sœurs de l’Ange Gardien – épisode 1 »

  1. Bonsoir,

    s’il n’y a eu qu’une école religieuse à Montlaur, je crois qu’elle était située au 6 avenue de Malbec. J’y ai été propriétaire pendant une quinzaine d’années. La maison, ancienne propriété de la famille Sournies au début du XXème siècle, devint ensuite une épicerie. Dans le jardin subsiste une croix, seul vestige de ce passé.

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